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Le Point, 27 novembre 2008 |
André Tubeuf |
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Opéra - Kaufmann, le ténor en or
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Il combine l'énergie animale d'un Domingo et
la beauté de timbre d'un Pavarotti. Dépêchez-vous : il est actuellement dans
« Fidelio ». |
Un vrai ténor, avec les notes là-haut et, dans les notes, ce qui
fait vibrer toute une salle, de toute façon c’est rare. Un ténor beau en
plus, ténébreux, grand, avec le look, le regard, à peine si ça existe. Mais
si en plus il joue en grand acteur ! Il y a des ténors qui se défoncent sur
scène, tellement intenses, mettant tellement leur jeu dans leur voix qu’ils
font plus d’effet qu’aucun acteur : deux printemps après, hélas, on commence
à se poser des questions sur leur avenir. Jonas Kaufmann est prudent, lent,
mesuré. On peut dire qu’il se programme. Visiblement, les étapes de sa
carrière, de rôle en rôle-demain ce sera Lohengrin, dans deux ans Siegmund
de « La Walkyrie ». Mais d’abord sa dépense en scène, où chaque instant est
habité, vécu, chanté ; mais la réserve est là, qui lui permet l’ultime
défonce au duo final, disons, de « Carmen ». « Carmen » a suffi à le
consacrer légende. A Covent Garden fin 2006 (dont déjà témoigne un DVD), il
électrisait par l’intégrité du chant, l’effet dramatique sobre ; un
jusqu’au-boutisme calme, classique ; avec un chic, un ascendant physique, un
rayonnement concentré et noir qui en imposent plus qu’un si bémol réussi.
L’âge d’or retrouvé !
Ce novembre seulement Paris le découvre à plein. En récital le 9 au palais
Garnier on a entendu l’artiste, à hauteur des poètes choisis : « Pétrarque »
pour Liszt, « Michel-Ange » pour Britten. Strauss ensuite. Extase dans la
salle. On se battra pour l’entendre en Florestan de « Fidelio » à partir du
25. Un chanteur mûr, prêt, en pleine jeunesse et force, et qui éclate avec
cette diversité de talents, au jour d’aujourd’hui, c’est de l’or ! En 2009
il va avoir 40 ans, dont quinze de scène, et d’abord deux passés à ronger
son frein dans de minuscules théâtres : trente-six « Nuits à Venise » de
suite, des pannes, çà et là un vrai petit rôle pas trop lourd. C’est la
seule formation qui paie, sur le tas. Mais ça peut dégoûter à jamais de la
troupe, chaque soir disponible, corvéable à merci. Mais, dès 1999, Salzbourg
lui offrait des seconds plans, et la France (Toulouse) dès 2001 un vrai beau
rôle, Wilhelm Meister dans « Mignon ». Tout s’ouvrait. Si cette même année
il a rechoisi la troupe, c’est que Zurich est hors normes, avec le seul luxe
qui compte : des rôles tous sur mesure, des partenaires chanteurs et chefs
de qualité, la stabilité en famille, et une variété de répertoire sûrement
unique au monde. A côté de « Fierrabras » (Schubert) ou des « Königskinder »
(Humperdinck), il y a eu aussi le plus public et gratifiant, et bon pour la
voix : « Bohème », « Tosca », « Traviata ». Jonas Kaufmann est sûrement le
ténor le plus cultivé, le plus artiste d’aujourd’hui, et peut savourer sans
complexes ce que l’opéra d’aujourd’hui n’oublie que trop : que chanter c’est
donner du plaisir, et d’abord s’en donner à soi-même. Et avec le sex-appeal
qu’il a, ça chauffe ! Il combine l’énergie animale d’un Domingo et la pure
chaude irremplaçable beauté de timbre d’un Pavarotti. Aucun ténor
aujourd’hui ne dit mieux.
Elle est là pour le ténor, cette quadrature du cercle, que veulent ignorer
ces chanteurs comètes, d’emblée brûlés par les deux bouts. Tout donner le
soir même ; et durer ; grandir la voix sans la grossir. Ni scléroser ni
flamber ! Dans notre civilisation du tout tout de suite, Jonas Kaufmann est
ce rescapé (ou missionnaire) d’un âge d’or, âge du soin de soi et du respect
du chant. A lui seul il change la donne, il réaffirme les valeurs. |
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