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Le Temps, 30 décembre 2013 |
Julian Sykes |
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Voix cuivrée
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Jonas Kaufmann a dominé l’année 2013 en chantant Wagner et Verdi |
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Il est rare qu’un chanteur se sente pareillement à l’aise dans Wagner et
Verdi. Jonas Kaufmann a réalisé ce tour de force en 2013, l’année même du
bicentenaire de la naissance des deux compositeurs. Il a brillé à la scène
comme au disque, cumulant les rôles qui nécessitent des moyens d’exception.
Doté d’une fine acuité psychologique et d’un instinct pour le théâtre, il
fait partie de la génération de chanteurs capable de rendre leurs
personnages crédibles, loin des stéréotypes de la mise en scène d’opéra.
D’un point de vue strictement vocal, c’est la couleur cuivrée de son
instrument, la capacité à sculpter une ligne et à la parer de nuances
fouillées qui rendent son art si captivant. Ce ténor de langue allemande est
naturellement «fait» pour Wagner. Qu’il chante Siegmund, Lohengrin ou
Parsifal (formidable retransmission en direct du Met de New York en mars
dernier, avec René Pape en Gurnemanz), chaque mot ressort avec un poids
émotionnel qu’il ressent intuitivement. A lui seul, «le récit de Rome» tiré
de Tannhäuser, sur son dernier CD Wagner, illustre sa capacité à suggérer
les contradictions intérieures qui déchirent le héros fragilisé. Kaufmann
aime aussi se lancer des défis: sur ce même CD, il décoche les «Wälse» dans
le premier acte de La Walkyrie avec une puissance pulmonaire capable de
rivaliser avec Lauritz Melchior, le célèbre Heldentenor des années 30 et 40
qui fait figure de référence.
Le ténor allemand a conscience que sa
voix est plus sombre que celles de nombreux ténors italiens, ce qui ne
l’empêche pas de faire tout un chemin dans Verdi. Ici aussi, son sens de la
ligne, son habileté à modeler la voix, entre velours et aigus qu’il darde
fièrement, lui permettent de révéler la face intime (voire blessée) des
personnages. Que ce soit dans Le Trouvère , dans le sublime Don Carlo
(chanté à Londres, Milan et Salzbourg) ou, depuis ce mois-ci, Alvaro dans La
Force du destin à l’Opéra de Munich, Jonas Kaufmann privilégie la vérité.
Quand en plus, il a pour partenaires à la scène Anja Harteros ou Thomas
Hampson, c’est naturellement la fête.
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