Le Figaro Magazine, 20 Novembre 2010
OLIVIER OLGAN, Photos: PATRICK ROBERT
Jonas Kaufmann
L' art (lyrique) et la Bavière
mit Fotos
Le ténor allemand que tout le monde s'arrache a décidé de revenir vivre et travailler à Munich, où il est né voilà quarante et un ans. En exclusivité pour « Le Figaro Magazine », il nous en fait
découvrir ses endroits préférés.

Un rêve devenu réalité. » Son retour à Munich constitue, pour le ténor Jonas Kaufmann, autant un tournant de carrière qu'un choix de vie.

Après une dizaine de jours de vacances en famille, faisant suite à un été harassant scandé de succès, de Bayreuth à Salzbourg en passant par... Munich, le ténor le plus recherché du moment a choisi sa ville natale pour camp de base de sa conquête des grandes scènes lyriques internationales.

Rendez-vous est pris au BMW World, lieu à l'architecture ultramoderne déployant sa vague de verre et de béton à quelques enca-blures du stade olympique, devenu tristement célèbre un soir d'été 1972. Conçu par le cabinet d'architectes Coop Himmelb(l)au, l'endroit symbolise une Munich à la modernité conquérante, loin de l'image d'Epinal souvent associée à la capitale bavaroise. « La Nouvelle Pinacothèque de l'architecte Alexander Freiherr von Branca illustre aussi cette tendance », souligne Jonas Kaufmann, qui, devant les nouveaux modèles de la marque bientôt centenaire, ne cache pas sa fascination pour la vitesse. Lorsque son emploi du temps le lui permet, avoue-t-il d'une voix presque hésitante, il lui arrive d'emprunter les plus grosses cylindrées pour des essais sur circuit.

Pour l'heure, c'est dans sa propre limousine qu'il nous conduit au coeur de la ville ancienne. Sur le siège avant traîne une partition. Tout sourire, Kaufmann reconnaît qu'il ne mémorise jamais mieux que lorsqu'il a du bruit autour de lui : avec ses enfants, devant la télévision ou au milieu de la circulation. Surprenant... « C'est dans l'effort de concentration que les mécanismes de la mémoire profonde sont les plus efficaces, explique-t-il, soudain très sérieux. Dans le silence, je pense toujours à autre chose. » Une clé précieuse pour comprendre l'appétit d'un chanteur qui s'illustre par sa capacité à s'approprier les rôles les plus divers, de Massenet à Wagner, et à transformer en or tous les répertoires, du vérisme italien au lied allemand. « Je ne crois pas aux étiquettes qui classifient et cantonnent un interprète en fonction d'un style. » Et de filer sans complexe la métaphore automobile : « La voix est une voiture qui a besoin de tous types de routes pour s'épanouir ! »

Depuis l'intérieur de la limousine, la ville de Louis I de Bavière dévoile la beauté tranquille de ses rues, les couleurs de ses crépis, qui rappellent parfois Florence ou Rome, l'omniprésence de ses espaces verts... et...

« Munich est un retour aux racines »

... des grues qui lui donnent un air de chantier berlinois. Une certaine agitation règne : les préparatifs de la célèbre Fête de la bière. « Dès mon plus jeune âge, mon père a tenu à m'y emmener, confie le quadra. Une façon unique de découvrir la chaleur munichoise, même s'il y a souvent quelques débordements... »

A dix ans, il rêvait de devenir archéologue

Notre destination : la glyptothèque et le Staatliche Antikensammlungen, deux musées dédiés à l'architecture néoclassique et aux antiquités. A 10 ans, Jonas Kaufmann rêvait de devenir archéologue : il forçait ses parents à arpenter l'Italie et la Grèce pour en retourner les pierres avec l'espoir de tomber sur quelque vestige antique. Au sein de l'édifice, il se déplace comme un poisson dans l'eau. Il connaît chaque pièce étrusque ou romaine exposée et peut détailler avec précision comment les Grecs colorisaient le Parthénon. Il confie qu'il pourrait y rester des heures, se sentant en parfaite communion avec cet art qui lui a révélé beaucoup de ses secrets. «J'aime beaucoup venir ici avec mes trois enfants et me laisser surprendre par ce qu'ils remarquent», glisse-t-il. Nous quittons la Königsplatz. Kaufmann désigne l'immeuble qui abrite le Conservatoire où, pur produit de la culture vocale germanique, il a fait ses premiers pas de chanteur.

L'Opéra national de Bavière est, avec le Théâtre Cuvilliés, la principale institution lyrique de Munich. Il se trouve au coeur de la ville, à quelques pas du palais royal et de ses jardins. Kaufmann s'engouffre dans le ventre de l'immense bâtiment. Retour aux sources. Jeune, il était le seul de la famille à ne pas s'ennuyer pendant les spectacles, qui le captivaient. C'est pourtant dans les théâtres régionaux plus modestes des villes environnantes qu'il a obtenu ses premiers enga-gements. Et c'est dans sa ville d'adoption, Zurich, qu'il a véritablement mûri, au sein de la troupe de l'Opéra national. Mais jamais sans regretter son éloignement de la capitale bavaroise : «Jusqu'en 2006, le directeur de l'Opéra de Munich, sir Peter Jonas, aimait principalement le baroque. C'est Nikolaus Bachler, son successeur, qui m'a invité et proposé de participer à plusieurs productions annuelles. Je n'ai donc pas hésité à revenir m'installer ici. » Et de relever, dans un grand éclat de rire, le paradoxe de quitter un paradis fiscal au moment où la renommée fait de vous l'un des tenors les plus bankables... « Je ne crois pas à la nécessité de refouler à /afin de sa carrière les en vies de vivre et de curiosités. La vie doit se vivre ici et maintenant, pour ses enfants, pour son propre équilibre. Munich est un retour aux racines mais aussi constitue une base solide pour la poursuite de ma carrière. »

Avec enthousiasme, il nous fait pénétrer dans les coulisses du bâtiment, remarquable par son immense dégagement latéral de plus d'une centaine de mètres. De la scène, la salle éclairée est impressionnante : une copie conforme de la Scala. Grandiose ne veut pas dire surchargé. Ornementations, dorures et miroirs accrochés aux murs des salons attenants ou dans la salle de réception visent davantage l'élégance que l'ostentation. Celui qui s'est rendu maître d'un jeu de scène aussi tenu que naturel arpente la scène avec grâce et tranquillité. Et insiste sur l'indispensable fusion du corps et de la voix, que seul le travail sur le corps peut apporter. « En récital comme à l'opéra, la voix ne doit pas juste sonner, c'est à elle de traduire une atmosphère. Le jeu d'acteur permet par d'infîmes nuances, pas toujours visibles par le public, de moduler tout en termes de couleur ou de climat. »

A l'aise dans « sa » maison, Kaufmann peut donner le meilleur de lui-même. Il y chantera cette saison Fidelio (deux sessions : de décembre à janvier, puis en juillet) et Carmen (en février), soucieux de ne pas se cantonner aux seuls rôles wagnériens, dont il est un interprète de référence.

Fin de la visite très privée avec une halte dans l'une des tables munichoises les plus réputées, le Spaten House. L'occasion, pour lui, de tordre le cou à un autre cliché sur la
nourriture bavaroise, supposée lourde, et de chanter une dernière fois l'art de vivre local, décomplexé et tranquille. Comme lui.






 
 
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