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Le Figaro, 27 juin 2015 |
PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY HILLÉRITEAU |
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Jonas Kaufmann, maître chanteur à Orange
Jonas Kaufmann: « Je dois mes premiers succès à la France » |
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Il est cette année la star des Chorégies dans « Carmen », qui débute le 8 julliet au théâtre antique. Au « Figaro » le ténor ténébreux clame son amour de l'opéra français et explique sa fascination por le rôle de Don José - Le nouveau prince des ténors revient aux Chorégies d'Orange dans le rôle envoûtant de Don José, du « Carmen » de Bizet. |
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Sa première apparition dans le théâtre antique
d'Orange remonte à 2006. C'était pour y tenir la partie soliste du Requiem
de Mozart. Neuf ans plus tard, c'est en star, dans l'un de ses rôles
fétiches, que Jonas Kaufmann, 45 ans, revient, du 8 au 14 juillet. Celui du
funeste Don José du Carmen de Bizet. Au milieu d'un agenda qu'il tente
d'alléger malgré des engagements jusqu'à 2021, Le Figaro est allé à sa
rencontre à la Scala de Milan. Il y a donné le 14 juin dernier un concert
triomphal, annonciateur de son prochain album Puccini, Nessun dorma, à
paraître le 11 septembre prochain.
LE FIGARO. - Vous aviez
déjà chanté à Orange en 2006. Quel souvenir en gardez-vous ?
Jonas KAUFMANN. - Celui d'une atmosphère magique et singulière. Le théâtre
antique d'Orange n'est pas la seule arène de ce type en Europe. Mais comme
la Scala de Milan ou le Metropolitan Opera de New York, ce lieu est empreint
d'une immense tradition lyrique. Et lorsque tout se passe bien, que toutes
les conditions - y compris climatiques - sont favorables, vous avez la
garantie d'y vivre un moment unique.
Pour un chanteur aussi
aguerri que vous, le plein air est-il encore un défi ? Toute
représentation est un défi. Monter Sur scène, surtout dans des lieux aussi
emblématiques que ceux que nous fréquentons à longueur d'année, induit une
part de.contrôle, mais aussi de dépassement de soi. À Orange, les conditions
de travail sont particulières. On ne peut répéter en journée à cause de la
chaleur. On sait que, selon le temps, l'intensité du vent, le taux
d'humidité, la voix portera plus ou moins bien. Qu'il faudra s'hydrater
davantage pour éviter la sécheresse des cordes vocales...
Le
rôle de Don José vous colle-t-il toujours autant à la peau ? À
la peau, je ne sais pas, mais à l'âme, certainement. Pour un ténor habitué
aux rôles héroïques, ce meurtrier en puissance est à la fois une respiration
et une énigme. Plus jeune, j'avais du mal à saisir ce qui pouvait conduire
ce brigadier si séduisant jusqu'à la fin tragique de Carmen. Aujourd'hui, je
perçois mieux sa nature sombre. La nouvelle de Mérimée, sur laquelle est
basé l'opéra et qui fait plusieurs allusions au passé tumultueux de Don
José, nous éclaire beaucoup sur ce point.
Ténor et
bibliophile, ce n'est donc pas incompatible ? Je n'ai pas la
prétention d'être un exégète mais il est intéressant, lorsque cela est
possible, comme chez Verdi avec Schiller ou Shakespeare, de se pencher sur
les origines littéraires des personnages que vous incarnez. D'autant que la
nouvelle de Mérimée n'est pas d'une longueur insurmontable. Avec Faust,
c'est déjà une autre affaire. Comprendre un personnage est-il
indispensable pour apprendre un rôle ? Le comprendre, peut-être pas, mais le
connaître, oui. L'idée n'est pas de se substituer au travail du metteur en
scène. Ni de remettre en cause le dessein du compositeur et de son
librettiste, qui ont fait leurs propres choix dramaturgiques. D'ailleurs,
dans certains cas, je ne les blâmerai pas d'avoir coupé 90 % de l'oeuvre
originale !
Carmen cet été à Orange, La Damnation de Faust
cet hiver à Paris... La France vous manque -t-elle? J'ai à ce
pays un attachement très fort. J'y ai effectué l'une de mes premières
tournées internationales, alors que je chantais encore dans un choeur
d'enfants. J'y ai connu certains de mes premiers succès : dans Mignon à
Toulouse en 2001, ou lors du Festival de Montpellier en 2005. J'y ai même eu
une maison, dans le Sud. Et, bien sûr, il y a l'opéra français. Un pan de
répertoire auquel je dois une part importante de ma carrière.
À quand un «album français» ? Cela fait partie des
projets à l'étude. J'aimerais en tout cas vraiment enregistrer un disque de
musique française. D'autant que nous avons avec Stéphane Lissner, directeur
de l'Opéra de Paris, de nombreux projets pour les années à venir.
L'appellerons-nous le French Album pour autant ? Je ne suis pas sûr que ce
soit encore à la mode.
Pour l'heure, vous vous arrêtez sur
Puccini. Pourquoi lui consacrer un disque aujourd'hui ? Parce
que c'est un compositeur qui, en cet instant précis de ma carrière,
correspond à la vision idéale que je me fais de l'opéra, et de ce que je
souhaite vivre à travers la musique. Et après tout ce qu'il y a eu pour
Verdi et Wagner autour de leurs anniversaires, je me suis dit qu'il était
temps de faire quelque chose pour lui!
En quoi est-il un
compositeur idéal ? Il capture dans sa musique, et notamment
dans ses airs d'opéra, l'émotion d'une manière si précise et immédiate qu'il
vous est impossible de ne pas pleurer en l'entendant. Contrairement à
Wagner, qui peut me bouleverser mais requiert plus de temps et d'écoute pour
l'apprécier à sa juste valeur.
Lors de son voyage à
Bayreuth, Puccini a pourtant été marqué par Wagner... C'est
juste. Si vous écoutez les orchestrations, l'influence de Wagner est
d'ailleurs manifeste. Mais Puccini a toujours conservé un rapport plus
humain à la mélodie, par exemple en faisant doubler les chanteurs par les
violons. Chez Verdi, au contraire, si vous retirez les chanteurs, il ne
reste plus la moindre mélodie.
Vous arrive-t-il de pleurer
sur scène ? Ce n'est pas tous les jours, mais ça arrive. Lorsque
vous parvenez à oublier la technique, les accidents imperceptibles pour le
public mais qui ne manquent jamais de survenir pendant quatre heures de
spectacle, alors parfois, oui, vous vous dites : «C'est ça. C'est ce moment
que j'attendais. » Et là, vous êtes submergé. Je me souviens d'une
représentation de Parsifal au Metropolitan de New York comme ça, où nous
étions comme drogués. Nous avions le sentiment de flotter. Soudain, je me
tourne, et j'aperçois la souffleuse dans sa trappe... Elle pleurait à gros
bouillons, je n'ai pas pu résister.
On peut donc être le
ténor le plus en vue de la planète et rester vulnérable ? C'est
pour ça que j'ai horreur de m'engager cinq ans à l'avance. J'ai actuellement
des dates jusqu'en 2021 ! Si vous savez comment faire ce métier, le chant
est la chose la plus merveilleuse au monde. Pour autant, nul ne peut prédire
comment sa voix aura évolué dans cinq ans.
Certains
chanteurs se plaignent d'une pression supplémentaire du fait des
retransmissions... Oui, les caméras se sont banalisées à
l'opéra, mais je les oublie sitôt que je rentre en scène. Dieu merci, car,
dans le cas contraire, ma vie deviendrait un enfer.
Antonio
Pappano estime que les chanteurs d'opéra n'enregistrent plus suffisamment de
disques. Qu'en dites-vous? Nous le déplorons tous. Mais il n'y a
plus de marché pour sortir un album tous les deux mois. En outre, le monde a
changé : le disque répondait autrefois à un réel besoin de diffusion. Pour
autant, l'art lyrique n'a pas été pensé pour Internet et je continue de
croire à la vertu essentielle des enregistrements en studio.
Orange, un défi permanent T. H.
8300 spectateurs, 800 m2
de décors à surmonter par la seule force de sa voix... Que l'on soit un
vieux routier ou un néophyte, chanter dans l'enceinte des Chorégies d'Orange
reste une gageure. Raymond Duffaut le sait. Le directeur général de la
manifestation a annoncé, au printemps, son départ à l'horizon 2017. Il se
souvient, au fil dé sa longue carrière, d'avoir essuyé plus d'un refus de la
part de chanteurs. « Mirella Freni n'a jamais voulu entendre parler de plein
air. D'autres craignaient de ne pas passer les 8 300 places... », confesse-
t- il. Pour quelques fins de non-recevoir, combien de sacres ? Régine
Crespin, Montserrat Caballé, Plácido Domingo et même Luciano Pavarotti...
Autant de noms illustres qui sont les témoins de la magie opérante du lieu.
Cette magie, toutefois, ne serait possible sans la pugnacité des équipes
techniques et artistiques des Chorégies. Car le défi dans le théâtre antique
n'est pas que vocal. «Nous n'avons que 46 jours d'exploitation, explique
Duffaut. Dans ce laps de temps, il faut caser chaque été deux nouvelles
productions, avec les reports de représentations en cas de pluie, ainsi que
les concerts. » La première partie du travail pour les choeurs et les
solistes s'effectue donc en salle, sur huit à dix jours. Ensuite, les
équipes artistiques n'ont que cinq jours de répétitions avant la générale
piano. Cinq jours durant lesquels il faut inclure 48 heures pour le montage
des décors. « Les techniciens travaillent parfois par 50°. Les essais
d'éclairage ont lieu entre minuit et 5 heures du matin. »
Prouesse
supplémentaire cette année, Carmen sera donné à trois reprises au lieu de
deux habituellement. « Une première depuis 2004 », s'en, thousiasme Duffaut,
confiant. Le festival, échaudé depuis plusieurs années par d'importants
problèmes financiers, entend capitaliser sur la venue de Kaufmann. Roberto
Magna lui succédera du ler au 4 août dans Il Trovatore de Verdi. Parmi les
autres stars attendues, la pianiste Martha Argerich fera ses débuts à Orange
avec son homologue Nicholas Angelich le 11 juillet, pour le tout dernier
concert de Myung-Whun Chung comme directeur musical de l'Orchestre
philharmonique de Radio France.
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