Osez l'Opéra, le journal de l'Opéra Nice, Octobre - Decembre 2012
ENTRETIEN REALISE PAR CHRISTOPHE GERVOT SEPTEMBRE 2012 TRADUCTRICE, LUCIE CAPDEVILLE
Jonas Kaufmann
 
 
C. G. : Vous avez incarné les plus beaux rôles de Verdi, de Mozart et de Wagner, sans oublier l’opéra français, sur les plus grandes scènes du monde.
Vous avez interprété Lohengrin à Munich en 2009 et Siegmund de La Walkyrie au Metropolitan Opera de New York en 2011. Que représente Richard Wagner pour vous ?

J. K. : Quand j’étais enfant, Wagner faisait partie de mon quotidien. Mon grand-père avait l’habitude de jouer au piano tous ses opéras, en chantant tous les rôles y compris les personnages féminins. Et comme mon père possédait une importante collection de vinyles, j’ai pu entendre très tôt de grands enregistrements de Richard Wagner. Bien sûr, plus tard, en grandissant, j’ai pris conscience de la personnalité du compositeur, de sa vie et de son idéologie, qui m’ont beaucoup moins plu. Mais cela n’a jamais affecté l’amour que j’ai pour sa musique. Il y a des passages qui me transportent toujours, même après toutes ces années ! C’est comme une drogue. Mais je ne dirais pas que je préfère Wagner à Verdi ou à Strauss. En tant que chanteur, je suis heureux de ne pas devoir choisir. Je me sens autant à l’aise chez Wagner, Verdi et Puccini que dans le répertoire français. C’est important pour moi, de ne pas être cantonné aux rôles de ténor wagnérien et ce, pour plusieurs raisons. Je suis tout d’abord persuadé qu’un mélange des répertoires allemand, italien et français peut me permettre de conserver une voix plus flexible que si je me spécialisais dans l’univers de Wagner. Je pense également que les rôles wagnériens n’apportent de bénéfice qu’à un chanteur qui est également à l’aise dans Verdi et dans Puccini, et réciproquement. Vous savez, Wagner cherchait toujours des interprètes qui pouvaient chanter ses rôles avec le « style italien legato ». Enfin, je crois que je m’ennuierais si je répétais à l’infini toujours les mêmes rôles. J’aime le changement. Espérons que je serai capable de changements jusqu’à la fin de ma carrière.

C. G. : Vous étiez Werther dans la très belle mise en scène du cinéaste Benoît Jacquot en 2010 à l’Opéra Bastille. Quelles traces vous a laissé ce spectacle ?

J. K. : Il s’agissait de mon premier Werther et tout représentait un défi. En effet, je chantais ce rôle pour la première fois à Paris, avec Michel Plasson, grand chef d’orchestre, spécialiste de la musique de Massenet et avec une magnifique distribution dominée par Sophie Koch qui était Charlotte. On pourrait même dire que c’était un défi risqué pour moi. Pour corser le tout, j’ai eu la grippe pendant les répétitions, j’ai dû rester alité pendant plusieurs jours et je n’ai pu suivre que la dernière répétition. A la première représentation, j’avais encore envie de tousser. Dieu merci, tout s’est bien passé ! J’ai beaucoup aimé la production de Benoît Jacquot, particulièrement le fait que l’action sur scène soit réduite à l’essentiel et laisse la place à la musique. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir une si bonne production pour mes débuts dans ce rôle, et en même temps, j’ai été gâté.

C. G. : Quelle est l’oeuvre qui vous procure le plus de bonheur ?

J. K. : Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie. C’est très différent de chanter le répertoire italien, français ou allemand, non seulement en raison des couleurs particulières de chaque langue mais aussi en termes de style et de ligne musicale ! Mais je n’ai pas de compositeur ou de genre favori. Mon plus grand plaisir est de chanter Wagner, Verdi, Bizet, Puccini, Schubert et Gounod successivement au cours d’une même période. C’est ce qui me permet d’évoluer, vocalement aussi bien que moralement. Bien sûr, il y a des rôles que j’adorerai mais que je ne pourrai jamais chanter, Scarpia et Iago par exemple ! Parfois j’aimerai réellement avoir la voix d’un baryton dramatique (rires).

C. G. : Pourriez-vous nous raconter votre plus beau souvenir sur une scène d’opéra ?

J. K. : J’ai eu la chance de connaître beaucoup de beaux moments sur scène, mais j’aimerai en mentionner deux plus particulièrement : Cosi fan tutte avec Giorgio Strehler à Milan et mes débuts au Metropolitan Opera
dans La Traviata. J’étais débutant en 1997, et travailler avec Strehler fut un privilège absolu. La troupe entière a été d’autant plus touchée par sa disparition qu’elle survînt peu de temps après la fin des répétitions. Mais cette production fut un succès mémorable et je n’oublierai jamais la première, quand le public ovationna Strehler à l’issue de la représentation, face à la seule lumière des bougies sur scène. C’était très émouvant ! Neuf ans plus tard, je me produisais sur la scène du Metropolitan Opera à New York, aux côtés d’Angela Gheorghiu devant près de 4 000 spectateurs. C’étaient mes débuts au Met. Bien sûr, j’étais assez nerveux en me présentant pour mon premier air. Mais quand le public s’est levé pour applaudir, j’ai eu l’impression que mon coeur était descendu jusqu’à mon estomac et mes genoux tremblaient tellement que je me suis soudain retrouvé à genoux, incapable de me relever. Je me souviens avoir pensé : « Qui ? Moi ? ». Ça peut paraître idiot, mais c’est exactement ce que j’ai ressenti. C’étaient certainement les applaudissements les plus émouvants et les plus impressionnants de ma carrière.

C. G. : Vous êtes également un interprète de Lieder. Quelles émotions, que vous ne trouvez pas à l’opéra, vous procure un récital ?

J. K. : Dans un opéra, vous faites partie d’une grosse équipe. Vous vous concentrez sur votre rôle et sur le personnage que vous devez incarner, alors que dans un récital, il y a juste vous et votre partenaire au piano. Vous ne pouvez pas vous cacher derrière un masque, un costume, un collègue ou une musique d’orchestre, vous êtes complètement exposé. Pour les chanteurs que l’on appelle « des bêtes de scène », cela peut être un problème. Ils ont l’impression d’être nus, vulnérables. Il n’y a pas d’excuses, pas de chef d’orchestre ou de metteur en scène qui les auraient influencés, pour le meilleur ou pour le pire. Ils ne peuvent même pas s’en prendre au pianiste, parce qu’ils l’auront choisi. D’un autre côté, c’est un défi. Vous devez faire tenir le tout et garder des exigences élevées du début à la fin. Sans vouloir diminuer la valeur du chant d’opéra, je pense que l’interprétation des Lieder est la plus exigeante parmi les genres chantés. Cela demande une touche plus délicate que dans toute autre discipline vocale, plus de couleurs, plus de nuances, plus de contrôle dynamique, plus de subtilité dans le maniement de la musique et du texte. Et vous êtes affranchi de tout ce dont vous dépendez lorsque vous chantez un opéra, vous n’avez pas à faire de compromis, vous pouvez toujours être en accord avec vousmême.

C. G. : Quel sera votre programme du 9 novembre prochain à l’Opéra de Nice ?

J. K. : Je chanterai quelques extraits des répertoires français, italien et allemand dont des arias de Carmen, Werther et de La Gioconda, mais aussi des scènes de Cavalleria rusticana, La Walkyrie et Lohengrin.

C. G. : En mai 2012, à l’occasion de la finale de la ligue des champions de football à Munich, vous avez interprété l’hymne de l’UEFA pour la cérémonie d’ouverture. En quoi ce mélange des genres est-il important pour vous ?

J. K. : Au-delà du fait que je suis un fan de football et que le Bayern de Munich est mon équipe favorite, j’aime l’idée d’atteindre un public qui n’est pas acquis à la musique classique et à l’opéra, mais qui pourrait s’y intéresser. C’est la principale raison pour laquelle j’aime chanter des extraits d’opéras en concert. C’est une invitation faite au public à rejoindre un monde magique, un apéritif qui, je l’espère, crée une envie de continuer.

C. G. : Quels sont les projets qui vous tiennent particulièrement à coeur ?

J. K. : En tant que chanteur, on ne devrait pas considérer un concert ou une production comme étant « plus important », mais le gala d’ouverture du 7 décembre à La Scala de Milan a toujours été marqué d’une pierre
blanche, pas seulement dans le monde de l’opéra, mais plus largement aussi. Cette année, il s’agira d’une nouvelle production de Lohengrin mise en scène par Klaus Guth et dirigée par Daniel Barenboim. Comme pour la production de Don Carlo à Munich en janvier dernier, mes partenaires seront Anja Harteros et René Pape. Selon l’usage de ces dernières années, la soirée d’ouverture sera retransmise mondialement. Nul besoin de vous dire que je suis très heureux de faire partie d’un tel « événement ».






 
 
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