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Le Soir, 11 avril 2012 |
SERGE MARTIN |
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Jonas Kaufmann, le grand ténor que l'on attendait |
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Entretien Jonas Kaufmann comme digne
successeur de la génération Pavarotti et Domingo ? C'est plutôt bien parti
en tout cas… |
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On a souvent dit que la génération des Pavarotti
et Domingo n'avait pas de descendance directe. Aujourd'hui, sur le plan de
la technique et de la splendeur vocale, il y a Juan Diego Florez. Mais aucun
ténor ne se profilait. La réponse pourrait venir de Jonas Kaufmann à l'aise
dans les répertoires italiens, allemands et français. La richesse et la
beauté du timbre sont mises au service d'une réelle conception dramatique.
La Monnaie fut une des premières maisons à le programmer. Aujourd'hui, c'est
le monde entier qui se l'arrache.
Un disque d'airs véristes,
un autre consacré aux tubes de l'opéra allemand, « Werther » en DVD :
comment arrivez-vous à être aussi à l'aise dans ces répertoires ?
Parce que je ne chante que des langues que je comprends et que je parle.
Actuellement, je ne chante ni en tchèque ni en russe. Mais je les apprendrai
sans doute un jour. Les personnages des opéras sont des êtres plutôt
torturés mais ils ont une réalité qui se cache derrière leurs instincts. Et
que la langue exprime. Vous devez donc être à l'aise linguistiquement avec
ce que vous chantez si vous voulez restituer leur vérité.
Comment définissez-vous les personnages que vous incarnez ?
Un personnage d'opéra ne vous dicte pas une ligne, il laisse le chanteur
face à une série de questions et c'est à lui de les résoudre. Certes vous
n'êtes pas seul. Vous faites partie d'une production avec un chef, un
metteur en scène et des collègues qui ont leur petite idée. Une chose est
certaine : on ne peut plus travailler avec les schémas simplistes du passé.
D'une façon générale, une production doit toujours rester lisible pour le
spectateur : elle lui raconte une histoire et il doit pouvoir la comprendre.
Sinon, il se sent floué, il se sent rejeté et se déconnecte. Certaines
maisons s'adressent à des publics plus avertis qui ne se contentent plus
d'une lecture au premier degré : on peut donc aller plus loin mais il faut
toujours veiller à ne pas surcharger.
Vous n'êtes pas
vraiment un spécialiste. Est-ce un choix délibéré ?
Certains m'ont suggéré de me concentrer sur certains répertoires. Je sais
que certains chanteurs le font mais, pour ma part, j'aime cette diversité.
Les grands chanteurs du début du XXe abordaient, eux, des répertoires très
différents. Aujourd'hui, j'ai chanté Alfredo dans La Traviata à la Scala,
Lohengrin au Festival de Bayreuth et Werther à l'Opéra de Paris. J'en suis
très heureux et très fier car, chaque fois, je me sens chez moi.
Que peut apporter à un rôle une nouvelle production ?
Je me remets chaque fois complètement en cause. Je m'efforce d'arriver
dans une production nouvelle sans idée préconçue comme si j'allais incarner
un rôle pour la première fois. Bien sûr, on ne peut pas renier complètement
mais toutes les autres composantes doivent interagir et créer une alchimie
nouvelle. C'est ainsi qu'on enrichit un personnage.
Vous
pouvez nous donner un exemple ?
Bien sûr. Prenons Don José
dans Carmen. C'est un homme violent qui s'est déjà attaqué à quelqu'un et
qui s'est engagé dans l'armée pour se refaire une vie. Il ne connaît rien
des femmes si ce n'est sa mère et Michaëla à laquelle le lie une relation
platonique. Avec Carmen il découvre l'amour et le désir et son monde
bascule. Aussi à la fin quand il se sent trahi, il devient un animal blessé
mais, quand il chante « La fleur que tu m'avais lancée », c'est un amoureux
transi qui parle. C'est pour cette raison qu'il faut terminer l'air sur une
note énoncée doucement, comme l'indique très justement Bizet, et non comme
un cri en puissance. Mais c'est aussi vrai que la conception du rôle
évoluera considérablement en fonction de la Carmen que j'ai en face de moi.
Vous n'êtes pas le même homme face à une fille de joie ou une élégante
séductrice.
Quel est votre rapport aux metteurs en scène ?
C'est un problème complexe. A la base de tout, il y a l'œuvre
c'est-à-dire la musique. Autrefois, du temps de Toscanini, le chef était le
seul maître à bord. Aujourd'hui, les choses ont à ce point changé que,
lorsque vous lisez la critique d'un spectacle, on vous parle durant 85 % de
l'article des aspects scéniques et, avec beaucoup de chance, durant 15 % des
éléments musicaux ! Et pourtant le visuel ne doit pas assommer le public, ni
le distraire. La scène doit être au service du sujet, théâtralement et
musicalement. C'est pour cette raison que j'ai tant apprécié le Werther de
Benoît Jacquot à l'Opéra de Paris. Décors et costumes nous rappelaient les
tableaux romantiques de Caspar Friedrich et l'action scénique exprimait à la
fois la noirceur et le désespoir déchirant qui font la face sombre du
romantisme germanique mais, en même temps, la musique de Massenet dégageait
une chaleur émotionnelle littéralement envoûtante. C'était une combinaison
quasi magique et je persiste à croire que l'opéra doit créer une magie.
Quelle différence voyez-vous entre l'opéra et le récital ?
A l'opéra, vous êtes un conteur d'histoires. Vous ne pouvez pas vous en
abstraire. Vous devez servir une situation donnée et vous y intégrer mais
vous avez le temps de bâtir un personnage, d'en approfondir la psychologie.
En récital, tout va, au contraire, très vite. Il faut tout dire d'un
personnage en quelques minutes et, souvent, dans une ambiance de paroxysme.
Vous devez donc délivrer inconsciemment un concentré du récit car ce que
vous allez chanter trouve sa raison d'être dans ce qui s'est passé avant cet
air et vous devrez le faire comprendre à votre public sans pouvoir le
raconter ! Pour imposer une situation dans l'instant, vous devez foncer
droit au but et être efficace. Sinon vous ne livrez qu'un simple air,
peut-être très beau mais sans la chair du personnage qui fait son émotion.
Et le public qui est ainsi ballotté d'un air à l'autre ?
En fait, vous sentez tout de suite si le public est avec vous. Si vous
parvenez à capter son intérêt, il vous suivra jusqu'au bout et vous
ressentirez un incomparable sentiment de complicité. Et souvent, vous lui
révélerez une partition : il voudra en connaître plus, achètera un CD
intégral de l'opéra et tentera d'assister à une représentation intégrale.
Musicalement, vous avez gagné. En moins de cinq minutes. C'est aussi cela
l'émotion unique du récital.
Une jeune carrière bien remplie
La famille Kaufmann émigre d'Allemagne de l'est avant que les Soviétiques ne
construisent le Mur. Elle s'installe alors dans le quartier de Bohenhausen à
Munich. Il écoutait les LP de son père avec sa sœur et, à huit ans, commence
l'étude du piano. Parfois, le grand-père jouait Wagner au piano et la
famille interprétait les rôles. Très vite, on le retrouve dans les chœurs de
l'école. Durant ses deux dernières années, il rejoint le chœur du
Gärtnerplatztheater et se retrouve sur scène avant d'être étudiant en
mathématiques à l'Université. En 1989, c'est le grand saut : le jeune homme
s'inscrit à la Hoge Schule für Musik und Theater. Durant ses études, il
chante de petits rôles à l'Opéra d'État de Bavière et de plus importants
dans le théâtre de la petite ville de Regensburg. Des débuts à Sarrebrücken,
suivis d'un engagement à Stutgartt précèdent son arrivée au Piccolo Teatro
de Milan pour participer à la production de Cosi fan tutte dirigée par
Strehler. En parallèle, il commence à se produire en récital en compagnie de
son ancien professeur Helmut Deutsch. Alexander Pereira l'invite ensuite à
rejoindre la troupe de Zurich où il perfectionne son répertoire. En 2003, il
participe à la production très chahutée de Die Eentführung aus dem Serail de
Herrheim au Festival de Salzbourg. En février 2006, c'est le grand bond en
avant : James Levine l'invite à chanter La Traviata au MET. Les succès
s'enchaînent ensuite à toute vitesse : Lohengrin en 2009 à Munich et 2010 à
Bayreuth, Werther à Paris, Siegmund dans le nouveau Ring du MET. Au disque,
il enregistre Madame Butterfly de Puccini avec Pappano et Fidelio de
Beethoven avec Abbado. (S.M.)
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