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des Magazins: 12- ENTRETIEN JONAS KAUFMANN
C'est le ténor que les scènes du monde entier s’arrachent et l’un
des plus exceptionnels chanteurs-acteurs de notre époque! En cet automne
2008, la France lui déroule le tapis rouge.
C'est le ténor que les scènes du monde entier s’arrachent et l’un
des plus exceptionnels chanteurs-acteurs de notre époque / En cet automne
2008, la France déroule le tapis rouge sous les pas de Jonas Kaufmann
sortie nationale de son premier album d’airs d’opéras chez Decca, le 20
octobre, puis récital de lieder et nouvelle production de Fidelio à
l’opéra de Paris, respectivement les 9 et 25 novembre.
Fotos:
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Tosca, London
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La Bohème, Zürich
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Carmen, Zürich
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La traviata, Paris
Foto: R. Walz |
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Königskinder, Zürich
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Faites-vous partie de ces artistes qui ont d’abord rêvé de devenir
de grands scientifiques, avant de se lancer dans la musique?
Oui, je le reconnais, mais très jeune, j’ai intégré un choeur d’enfants,
où j’ai fait l’expérience délicieuse du chant a cappella. Nous
interprétions des chansons folkloriques en bavarois. Cela a été mon
premier contact avec la pratique musicale, car j’avais les doigts trop
courts pour faire du piano. Ma famille aimait l’art lyrique à Munich, où
je suis né, j’ai eu la chance d’entendre Luciano Pavarotti et Placido
Domingo, les deux grands ténors de l’époque, et mon grand-père jouait au
piano les opéras de Wagner en chantant pour le plaisir. À 15 ans, j’ai
commencé à interpréter des petits solos dans des concerts scolaires c’est
une jeune professeur de musique qui m’a donné mes premières leçons, ainsi
que des conseils pour bien respirer. Chanter allait de soi pour moi —j’ai
d’ailleurs passé la mue sans problème, sans aucun bouleversement —, mais
l’idée d’en faire mon métier ne m’était pas venue à l’esprit. La musique,
c’était l’aventure, et comme j’étais également attiré par les maths, la
physique et la chimie, j’ai passé deux années à l’université, tout en
continuant à pratiquer le chant. Jusqu’au jour où un professeur m’a
encouragé à aller plus loin. J’avais 19 ans. Cette proposition est arrivée
au bon moment, car les mathématiques commençaient à me paraître
abstraites, trop théoriques. Moi, j’aime la chair des choses, et j’ai le
sens pratique je fais volontiers du jardinage, des travaux d’électricité
ou de plomberie à la maison pour me détendre J’avais aussi besoin de
travailler avec mon corps. Le chant s’est imposé comme une évidence.
Quel a été votre premier contrat en tant que chanteur professionnel?
Mon premier spectacle a été Eine Nacht in Venedig de Johann
Strauss, à Ratisbonne.
Trente-six représentations J’ai très vite obtenu un contrat qui m’a permis
d’intégrer la troupe de Sarrebruck, où j’ai passé deux saisons, de 1994 à
1996. J’ai commencé par les emplois de ténor très léger, avec peu de
vibrato, peu de rondeur: Le Docteur Caïus dans Falstaff, le
Remendado dans Carmen, Andres dans Wozzeck, Don Ottavio dans
Don Giovanni, un des Écuyers dans Parsifal, etc. Pour
chanter au mieux Rossini et Mozart, j’ai tout fait afin d’optimiser la
flexibilité de ma voix. Mais je n’émis pas très à l’aise, j‘avais sans
cesse des rhumes, des maux de gorge, et je me rappelais ce que m’avait dit
autrefois un enseignant: «Tu as des problèmes de santé, ne cours pas chez
le médecin, change de professeur !» Une voix mal employée est sensible à
l’extrême, elle absorbe tout ce qui traîne dans l’air. A Trèves, je suis
allé voir un baryton américain qui m’a appris à me relaxer, à ne pas
forcer mes moyens, et qui m’a aidé à trouver ma vraie voix. Dans le même
temps, j’ai très vite mesuré quelles étaient les limites de la troupe de
Sarrebruck, et dès avril 1996, j’ai pris la décision de partir, alors que
la saison allait s’achever deux mois plus tard. Je n’avais aucune solution
de rechange pour la rentrée suivante. C’était le saut dans l’inconnu Mais
si je voulais obtenir des rôles plus importants que ceux que l’on me
proposait, il fallait que je le tente. J’ai donc accepté une opérette des
années vingt à Heidelberg, signé un contrat à Trèves pour une seule
production, enfin j’ai beaucoup chanté à Stuttgart, toujours spectacle par
spectacle, sans jamais m’engager dans la troupe. J’y ai interprété Jaquino
dans Fidelio, mais aussi mes premiers Almaviva d’il Barbiere di
Siviglia, Alfredo de La traviata, etc.
Pourquoi ne pas avoir choisi d’intégrer une autre troupe, d’un meilleur
niveau que celle de Sarrebruck?
La liberté que j’avais prise comportait en effet un risque, mais j’étais
prêt à affronter cette angoisse de renoncer à la sécurité. D’une manière
générale, les grandes maisons d’opéra ne confient que des petits rôles aux
chanteurs de leur troupe, pour donner les principaux à des vedettes qui
viennent de l’extérieur. Dans les théâtres moins importants, en revanche,
il faut être prêt à tout faire, à tout moment, et c’est un grand risque
pour la voix. D’une façon ou d’une autre, le chanteur, dans un système de
troupe, est presque un esclave : il doit constamment être disponible, il
faut qu’il attende chaque jour près de son téléphone, jusqu’à 15 h ou 16
h, pour laisser à la direction la possibilité de changer de distribution,
voire d’ouvrage, au dernier moment. Ne pas savoir ce que l’on va faire
d’un jour sur l’autre, c’est avoir les pieds et les poings liés. Par
ailleurs, impossible de s’éloigner de plus de cinquante kilomètres sans
autorisation, autorisation d’ailleurs très difficile à obtenir. C’est
presque vivre en résidence surveillée Quand j’étais en troupe, j’ai manqué
plusieurs occasions de participer à de très beaux concerts, parce que le
théâtre ne m’avait pas libéré à temps. Sans oublier le fait que certains
directeurs veulent montrer qu’ils vous tiennent en leur pouvoir.
«D’UNE
FAÇON OU D’UNE AUTRE, LE CHANTEUR, DANS UN Système DE TROUPE, EST PRESQUE
UN ESCLAVE»
Aujourd’hui, vous faites malgré tout partie de la troupe de l’Opéra de
Zurich...
Oui, mais c’est une troupe d’un tout autre niveau, et le contrat que j’ai
signé est d’une grande souplesse. Alexander Pereira, le directeur de
l’Opéra. est un fin collectionneur... Il veut avoir dans son écurie les
meilleurs chevaux, et dans sa troupe les meilleurs chanteurs! La première
fois où je me suis produit à Zurich, il est venu me voir à la fin de la
générale et m’a dit: «J’ai besoin de toi, tu vas signer avec mon théâtre.»
J’ai d’abord refusé, mais comme le contrat qu’il me proposait me donnait
beaucoup de liberté, j’ai fini par accepter. Je ne me vois pas comme
membre d’une troupe, mais plutôt lié par un partenariat continu. Je
combine les dates de mes représentations zurichoises avec mes autres
engagements, et je crois que cet arrangement convient aux deux parties.
Quand je chante à Zurich, qui est d’ailleurs la ville où je vis, j’ai, à
chaque fois, la sensation de revenir chez moi.
Quels sont vos grands souvenirs, tant à Zurich que dans les autres
théâtres où vous avez chanté?
Il faut distinguer les rôles qui vous passionnent des théâtres qui sont
importants pour votre carrière. Par exemple, quand j’ ai interprété La
traviata au Metropolitan Opera, en février-mars 2006, un agent est venu me
voir à l’issue de la première et j’ai compris qu’une période nouvelle
allait s’ouvrir pour moi. J’avais déjà incarné Alfredo en Amérique du
Nord, notamment à Chicago, mais ce premier engagement à New York s’est
transformé en argument pour convaincre les dernieres maisons d’opéra qui
ne m’avaient pas encore fait confiance, comme Munich et Vienne. Je trouve
d’ailleurs étrange que les théâtres européens soient sensibles aux succès
remportés par un chanteur au Met, alors que j’ai longtemps cru que c’était
le contraire ! Parmi les autres grands moments que j’ai vécus, je citerai
d’abord mes prises de rôle à Zurich Parsifal, le Duc de Mantoue, Don
Carlo, Faust (celui de Gounod), Fierrabras dans l’opéra éponyme de
Schubert (un spectacle de Claus Guth repris ensuite au Châtelet, en
2006)... Il y a encore mes débuts au Covent Garden de Londres, en 2004 La
rondine, auprès d’Angela Gheorghiu. Mais aussi les mauvais souvenirs,
comme Die Entführung aus dem Serail à Salzbourg. J’étais déjà venu au
Festival en 1999, à l’occasion de Doktor Faust de Busoni, avec Thomas
Hampson, puis pour des concerts, comme le Requiem de Schumann. Et en 2003,
il y a eu cet Entführung mis en scène par Stefan Herheim, un spectacle qui
était moins scandaleux que mal conçu, gratuit, sans cohérence les
dialogues étaient mélangés, intervertis, ceux que devait dire un
personnage étaient attribués à un autre Blonde jouait le rôle du Pacha
Selim dans la scène qui précède l’air de Konstanze «Martern aller Artenx’,
etc. J’avoue ne jamais avoir compris pourquoi Herheim avait procédé à tous
ces changements. Et j’ai renoncé à participer àla reprise, l’année
suivante, surtout parce que les réactions étaient violentes et que, dans
cette confusion, j’avais l’impression que personne ne faisait la
différence entre ce qui revenait au metteur en scène et ce qui revenait
aux interprètes. Chanter dans un spectacle qui, deux à trois fois par
soir, doit s’interrompre à cause des cris et des huées du public, c’est
vraiment très pénible... Cette production aurait peut-être fonctionné à
Berlin, mais elle n’avait pas sa place dans la ville de Mozart!
Vous avez évoqué le Faust de Gounod, mais vous avez également
interprété celui de Berlioz...
Ma première Damnation de Faust scénique (je l’avais déjà chantée en
version concertante), c’était à Bruxelles, en 2002. Mais la production la
plus marquante a été celle d’Olivier Py à Genève, l’année suivante. Un
spectacle magistral, très fouillé, qui a fait réagir lors des premières
représentations mais a fini par rallier les suffrages du public. À la
dernière, Olivier est venu saluer dans le costume de Miss Knife, celui
qu’il porte dans son spectacle de cabaret travesti. J’ai repris le Faust
de Berlioz à Bochum dans le cadre de la Ruhr-Triennale, à Rome avec
Antonio Pappano, à Zurich, à Berlin... et je compte bien continuer à le
chanter longtemps ! J’ai une
passion pour la manière dont La Damnation est construite, par scènes très
concises, qui voyagent d’un lieu à l’autre, et font avancer l’action d’une
manière rapide, fulgurante. D’où, bien sûr, la difficulté à mettre en
scène une partition comme celle-là, qui ne ressemble à aucune autre. Alors
que Gounod met l’accent sur la romance entre Faust et Marguerite, Berlioz
concentre son propos sur la relation du héros, qui est un dépressif et non
pas un sentimental, avec Méphistophélès. Dans La Damnation, Marguerite est
d’ailleurs une mezzo, c’est-à-dire un personnage plein de souffrance et de
gravité, que Méphisto utilise comme l’un des éléments de son puzzle. Et
puis, la «Course à l’abîme», quel vertige ! Musicalement, le rôle de Faust
combine trois voix: la voix lyrique, la voix mixte typique du style
français, et la voix très particulière exigée par «l’Invocation à la
nature». Cette «Invocation» a quelque chose de monstrueux : la voix reste
dans le médium et doit être volumineuse, compacte, projetée sans
défaillance au-dessus de l’orchestre qui gronde. C’est la raison pour
laquelle j’ai inclus cette page dans mon premier disque d’airs d’opéras,
que je considère comme une carte de visite, afin de faire comprendre tout
ce que je peux faire avec ma voix.
«INTERPRETER MARIO CAVARADOSSI EST UNE IVRESSE POUR LA
VOIX, MAIS C’EST TRES FRUSTANT SUR LE PLAN DRAMATIQUE»
«JE M’INTÉRESSE AUX PERSONNAGES QUI SE SITUENT SUR DIFFÉRENTS PLANS»
Quels autres rôles écrits par Berlioz aimeriez-vous aborder ? Benvenuto
Cellini, peut-être?
John Eliot Gardiner a essayé de m’en convaincre mais, très franchement, le
rôle m’attire peu. L’air du quatrième tableau est très beau, c’est vrai,
mais la première scène est assez bizarre, avec cet aigu très sollicité, et
les scènes d’ensemble ne m’emballent pas. Par contre, j’aime Énée dans Les
Troyens et il est question que je le chante en 2012, au Covent Garden. Je
pourrais l’aborder dès à présent, mais je serais à la limite de mes
possibilités. Énée n’est pas un rôle facile, il exige, tout comme Faust,
qu’on utilise plusieurs voix différentes, mais je sens qu’il est fait pour
moi Je m’intéresse aux personnages qui évoluent psychologiquement, qui se
situent sur différents plans... Interpréter Mario Cavaradossi est une
ivresse pour la voix, mais c’est également très frustrant sur le plan
dramatique. Par contre, prenez Don José l’évolution de ce brave type qui,
au début, ne pense qu’à sa mère et à Micaèla, puis en vient à être obsédé
par l’idée de tuer Carmen, voilà ce qui me plaît ! À chaque fois qu’il
revient en scène, il a changé, il est devenu plus complexe.
Et Florestan de Fidelio dans cette histoire?
Sur le plan de la situation, tout est clair: Florestan est emprisonné,
affamé, il ne croit pas que Leonore puisse venir le délivrer, il rêve, il
délire. Et quand il comprend que Leonore est là, réellement, l’opéra est
terminé. Le rôle est court, on peut difficilement trouver une
interprétation originale du sens qu’il exprime, et du sens de Fidelio en
général. En même temps, l’air est magnifiquement écrit et merveilleux à
chanter, le duo est difficile techniquement, le finale plus ardu encore.
C’est toujours une joie de participer à un Fidelio !
Vous avez déjà chanté Nerone dans L’Incoronazione di Poppea de
Monteverdi, vous citez Mozart, Berlioz ou Wagner. On a l’impression que
vous êtes à l’aise dans tous les styles, dans toutes les langues...
L’un de mes modèles est Placido Domingo, le dernier ténor, après Jon
Vickers, qui ait eu le goût et les moyens d’aborder tous les répertoires.
Les langues, je me fais un devoir de les parler pour enrichir mon
interprétation. Mais je ne vous cache pas que je ne suis pas encore très à
l’aise quand il s’agit du tchèque ou du russe ! En ce qui concerne les
répertoires, non, tous ne me conviennent pas. J’ai ainsi renoncé au Comte
Almaviva d’il Barbiere di Siviglia, car je dois forcer ma voix maintenant
pour lui donner la flexibilité nécessaire au bel canto. Je m’en suis rendu
compte en mars dernier, à Cleveland. Je devais chanter trois fois, avec le
baryton Christopher Maltman, Das Lied von der Erde de Mahler, par
parenthèse la plus belle oeuvre de concert que je connaisse, plus belle
même que le Requiem de Verdi. Or, le matin du dernier jour une tempête de
neige s’abat sur la ville. Décision est prise d’annuler, mais comme on
sait que certains spectateurs viendront quand même, et qu’il y a un piano
sur place, on décide de fouiller dans la bibliothèque de l’orchestre... et
on improvise un récital d’une douzaine d’airs et de duos de Rossini et
d’autres compositeurs italiens. Ce soir-là, j’ai chanté avec beaucoup de
plaisir malgré les circonstances, mais j’ai compris que ce répertoire
n’était plus pour moi.
Vous semblez aimer le concert, le récital de lieder ou de mélodies...
Oui, beaucoup. Comme Fritz Wunderlich, un autre de mes modèles. Le lied,
c’est l’interprétation spontanée, la poésie du moment. Il est possible de
faire un subito piano avec un partenaire qui vous connait bien et qui,
alors, réagit immédiatement avec vous. Le lied permet aussi de contrôler
votre état de santé si la voix ne suit pas, c’est que vous n’allez pas
dans la bonne direction et qu’il faut travailler différemment, avoir une
autre hygiène vocale.
Quelles seront vos prochaines prises de rôle?
Outre Énée, je pense aborder Otello et toute une série de rôles wagnériens
Lohengrin, Tannhäuser, Siegmund (prévu en 2011 à New York, à l’occasion
d’une nouvelle Tétralogie), puis Siegfried, et enfin Tristan. Ensuite, je
ne dis pas que je ne serai pas tenté par Pelléas...
Propos recueillis par Christian Wasselin |