Jonas Kaufmann
Absolument. Je trouve sain de confronter ma voix aux spécificités de chaque
répertoire. Cela oblige à remettre la technique en question, chercher de
nouvelles couleurs, entretenir le bonheur de chanter. Je ne souhaite pas me
laisser enfermer dans un répertoire précis ou un nombre limité de rôles.
Même si j’admire sa longévité, comment Alfredo Kraus a-t-il pu fonder une
partie de sa carrière en incarnant si peu de personnages ? Je le ferai
peut-être plus tard, mais pour l’instant, face àtoutes ces partitions, je
suis, tel un enfant dans un magasin de bonbons.
Vous sentez-vous ténor allemand?
J.K. Lorsque j’ai commencé à étudier le chant, mes professeurs ont
voulu faire sonner ma voix de manière pointue, un peu comme celle de Peter
Schreier. Mais, n’étant pas vraiment à l’aise, j’ai dû chercher mon propre
chemin. Un des chanteurs qui m’ont le plus marqué, au disque, est Fritz
Wunderlich. Grâce à lui, j’ai compris l’importance du legato, de
l’épanchement d’une phrase, mais aussi du naturel qui est indispensable pour
un artiste lyrique. J’adore la façon qu’il avait de chanter Granada...
Seriez-vous tenté par le cross-over?
J.K. Non, mon image du chant est trop sérieuse, et m’y adonner en
public est impossible... Lorsque j’ai abordé Cassio dans l’Otello de Verdi à
Chicago, Renée Fleming m’a dit:
«Tu dois faire attention. Avec ton physique, ils vont tous vouloir que tu
fasses de la variété. Tu chantes trop bien pour ça!»
Il y a deux saisons, vous étiez au Met pour La Traviata revue par
Zeffirelli. Aujourd’hui, c’est dans une mise en scène de Christoph Marthaler
que vous revenez à l’Opéra de Paris...
J.K. Le moins qu’on puisse dire est qu’il s’agit de deux conceptions
différentes. C’est la première fois que je travaille avec Marthaler mais,
lorsque je chantais Fierrabras au Châtelet, je suis allé voir ses Noces de
Figaro à Garnier. Les sifflets dans la salle m’ont laissé penser «Jonas,
l’an prochain, c’est ton tour. » On verra, nous n’en sommes qu’au début des
répétitions... Je n’ai rien contre les mises en scène qu’on appelle
Regietheater en Allemagne: bénéficier parfois d’une vision renouvelée est
profitable. Cependant, le livret doit demeurer la colonne vertébrale de
l’action, et l’histoire ne pas être trahie. Je repense souvent à cet
Enlèvement au sérail d’il y a quelques années à Salzbourg. Je chantais
Belmonte mais, comme le metteur en scène avait supprimé le rôle du Pacha, je
devais me charger de ses répliques. Je me demande ce qu’un spectateur
découvrant l’oeuvre a bien pu comprendre. Pour La Traviata au Met,
l’esthétique était plus traditionnelle, mais chanter avec Angela Gheorghiu
était un bonheur. Entre nous deux, j’ai ressenti une véritable alchimie, et
enregistrer avec elle Madama Butterfly pour Emi en juillet me réjouit.
Quelle importance revêt le choix de vos partenaires?
J.K. Fondamentale! Lorsqu’on me propose un rôle, je demande toujours
qui dirigera, avec qui je chanterai. C’est pour cette raison que j’ai dû
décliner les offres du Festival de Bayreuth. Entendons-nous, jouer au « divo
» n’est pas mon but, mais savoir que je pourrai m’appuyer sur une équipe,
échanger avec mes partenaires est important pour moi. C’est à la fois
professionnel et affectif. Pour mon premier Don José à Londres, cet hiver,
j’avais Anna Caterina Antonacci pour Carmen. Pendant les répétitions, elle
me disait de ne pas hésiter à m’investir davantage, à la toucher, à la
malmener toujours plus s’il le fallait. Tout simplement parce que l’action
l’exigeait. Sa recherche d’une intensité qui soit crédible a été un
véritable choc pour moi: une vraie rencontre artistique et humaine.
Malheureusement, nos agendas respectifs ne nous permettent pas de
retravailler ensemble pour le moment, mais nous ne désespérons pas de
trouver une date. Il y aurait bien eu une possibilité à l’Opéra-Comique avec
John Eliot Gardiner en 2009, mais cela tombait au même moment que mon
premier Lohengrin à Munich. J’ai donc dû dire non.
Vous venez de signer un contrat chez Decca: quels sont vos projets avec
ce label?
J.K. L’idée de départ était une sorte d’album d’airs italiens. Mais
je ne me vois pas du tout faire « The Italian Tenor » avec le risque de me
retrouver catalogué... Pour mon premier récital avec orchestre, j’ai envie
d’un programme qui ressemble à ce que je chante sur scène. Mes choix
concernant l’enregistrement qui aura lieu cet été ne sont pas encore
établis, mais ça sera une sorte de carte de visite avec un répertoire allant
de Mozart à Wagner. Autre rêve me pencher sur les mélodies de Liszt avec,
entre autres, les Sonnets de Pétrarque dans leur version aiguë. J’espère
convaincre Decca de les graver!
Et sur scène?
J.K. Fidelio à l’Opéra de Paris en 2009... Nous sommes en pourparlers
pour l’avenir. Je vais aussi poursuivre dans Wagner — Lohengrin à Munich,
Siegmund à New York —‘ dans le répertoire italien avec Tosca et Adrienne
Lecouvreur. Par ailleurs, l’opéra français m’attire énormément: j’ai déjà
signé pour Werther et Manon à Vienne et je rêve souvent d’Enée ou Hoffmann.
Pelléas, également, me fascine. On le confie souvent à des barytons mais,
après tout, je chante Parsifal qui est tout aussi grave pour un ténor. Dans
Pelléas, il faut négocier le duo de l’acte IV, avec ces aigus qui doivent
rayonner. Au vu de ces projets et n’ayant que trente-huit ans, je crois
avoir encore le temps pour Otello ou Tristan. Ça sera pour plus tard...
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