Anaclase
par michel slama
 
Operette, Tournee ab 15. April 2015
 
l'opérette viennoise par Jonas Kaufmann - Jochen Rieder dirige le Münchner Rundfunkorchester
Avec fièvre et ferveur, le Tout-Paris musical attendait le retour de Jonas Kaufmann dans la capitale. Le concert-événement affichait complet depuis plusieurs mois et les aficionados déçus de ne pouvoir contempler leur idole ont dû patienter, dès 14h le jour même du concert, aux caisses du Théâtre des Champs-Élysées pour tenter l’ultime chance d’obtenir la place tant convoitée… Pourtant, le programme du ténorissime allemand qui ne s'était pas produit à Paris depuis un an n'était pas familier du public français, si ce n'est pour ceux, nombreux, qui avaient acheté le disque paru à l'automne 2014. Déjà présent sur cette gravure Sony, le fringant Jochen Rieder ouvre le concert avec la Valse extraite de Giuditta, menée tambour battant par le Münchner Rundfunkorchester.

Quand le ténor paraît superbe et séduisant dans un élégant costume sombre, chemise blanche et cravate noire, cheveux courts bouclés et goatee très stylé, la salle fond déjà sous son charme. Il prend alors la parole pour nous expliquer les raisons de la présence incongrue d’un micro et de haut-parleurs sur scène. Dans un français impeccable, Kaufmann nous explique que la puissance requise pour l’accompagnement de son florilège de chansons extraites d’opérettes viennoises et de films musicaux, mettrait sa voix à dure épreuve sans la présence de ces outils. L’orchestration originale de ces mélodies serait du niveau de celle de Puccini. Compte tenu de ce que l’on vient d’entendre, il semble que le chef ne veuille pas l’épargner… Il rassure toutefois en indiquant que l’amplification était bien prévue à l’époque et que pour ce concert, elle ne fonctionnerait pas en permanence. En fait, elle était bien omniprésente, sauf pour le premier air de Giuditta et l’air fameux de Das Land des Lächelns, tous deux de Franz Lehar qui était très à l’honneur ce soir. Le résultat est cependant très convaincant – à la différence des sonorisations de musicals souvent indigentes qu’on a connues ailleurs –, d’autant que les ingénieurs du son ont déjà rôdé cette tournée à Munich (28 avril) et Vienne (15 mai).

Reprenant les tubes de son disque, le ténor a donc puisé dans ces trésors méconnus ici que sont ces mélodies d’amour viennoises, composées entre 1920 et 1940, souvent pour Berlin. En fait, il interprète de la même manière l’opérette viennoise et la musique des films musicaux allemands de l’époque, avec une voix très opératique, comme le faisaient ses prédécesseurs Elisabeth Schwarzkopf ou Fritz Wunderlich, pour ne citer qu’eux. C’est un peu dommage que Kaufmann et Rieder n’ait pas retenu la légèreté suave, l’esprit variétés qui régnait chez les Comedian Harmonists, ensemble fondé en 1927 et immortalisés par un film très émouvant au titre éponyme de Joseph Vilsmaier (1997). Depuis 1985, Max Raabe et son Palast Orchester ont pourtant su faire revivre cette ambiance si particulière. Mais les moyens vocaux de Kaufmann sont aux antipodes de ceux de Raabe et le ténor a du mal à se fondre dans ce répertoire.

Ne boudons pas notre plaisir, ni celui d’une salle surchauffée, hurlant des bravos dignes de ces grands airs d’opéra de Wagner, Verdi ou Puccini où Kaufmann est irremplaçable [lire notre critique des CD Wesendonck Lieder et The Verdi album]. Surtout que notre ténor aime surprendre : ainsi, l’air du Comte de Gräfin Mariza de Kálmán qui est un hommage vibrant à la ville de Vienne nous fait découvrir un beau timbre de baryton auquel nous n’étions pas habitués. Le dernier couplet de Paganini de Lehar est en anglais, tout comme celui de Das Land des Lächelns, est en français. Il adore esquisser des pas de danse et swingue à sa façon pour Im Traum hast du mir alles erlaubt de Das Liebekommando, de Stolz. Le charisme du ténor devient plus intense au fur et à mesure de l’avancement de la soirée. Et du coup, comment résister à un public aussi chaleureux et envoûté par sa prestation, qui l’acclame avec passion et le rappelle debout ?

Généreux, il offre donc six bis, dont quatre, extraits de son CD qu’il n’avait pas encore chantés ce soir (Es muss was Wunderbares sein, Irgendwo auf der welt, Frag nicht warum ich gehe et Reich mir zum Abschied) et un bis orchestral où, décontracté, il dirige la marche de Parade de Printemps de Stolz, déjà interprétée par les musiciens. La salle en délire ne veut plus le laisser partir et Jonas Kaufmann rechante alors l’air d’Ottavio de Frasquita qui ouvrait son récital. Le chanteur est visiblement très touché de cet accueil inattendu d’un public aux anges et qui le couvre de fleurs et de cadeaux, dont cette pomme offerte par une jeune fille, métaphore directe qui en dit long sur le désir de l’intéressée…






 
 
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