Le Figaro, 26.5.2015
Christian Merlin
 
Operette, Tournee ab 15. April 2015
 
Le miracle Jonas Kaufmann
Le ténor a donné un récital au Théâtre des Champs-Élysées, dans le cadre de la série « Les grandes voix ». Exceptionnel. 4/4

On se dit qu'on va finir par se lasser, qu'on est fatigué du star system et de l'hystérie des aficionados du lyrique. Et puis voilà: Jonas Kaufmann parait et on termine à ses genoux comme tout le monde. Bravo l'esprit critique ! Il est vrai que le récital qu'il vient de donner au Théâtre des Champs-Élysées, dans le cadre de la série « Les grandes voix », était en tout point exceptionnel. Et pas seulement parce qu'il est beau garçon ou chante mieux que les autres, même si les deux sont vrais.

Ce qui nous a captivé cette fois, c'est l'union idéale de tous les éléments : cohérence du programme, adéquation au style, charme, émotion. C'est d'autant plus à marquer d'une pierre blanche que nous n'avons jamais caché notre peu d'attrait pour le principe du récital où une star vient faire son numéro en enchaînant des airs tirés de leur contexte, accompagné par un mauvais orchestre. Rien de tel ici.

Le programme était dédié à un genre méconnu en France: l'opérette de langue allemande dans l'entre-deux-guerres. Si tout le monde connaît l'âge d'or de l'opérette viennoise avec Johann Strauss au XIXe siècle, on a oublié son âge d'argent des années 1920 et 1930, avec Franz Lehar pour figure de proue. Le grand Jonas nous invite à des allers-retours entre Vienne et Berlin, les deux capitales de ce genre populaire dont on ne répétera jamais assez qu'il n'a rien d'une sous-musique : la distinction allemande entre U-Musik et E-Musik, musique de divertissement et musique sérieuse, n'est pas une hiérarchie! Il est d'ailleurs passionnant de comparer les différences de style selon que domine le charme autrichien ou l'énergie allemande. La bonne humeur y est constamment teintée de nostalgie, ce que la voix ambrée et voilée de Kaufmann restitue mieux que quiconque. Au brio s'ajoute dés lors une émotion décuplée par le souvenir de Richard Tauber, le ténor de charme qui créa la plupart de ces airs et fut chassé d'Autriche par le nazisme la petite histoire rejoint la grande.

Une grande élégance
Le ténor s'est adressé au public avec simplicité pour expliquer la présence d'un micro afin de rendre justice aux susurrements des chansons de crooner : il n'en avait sans doute pas besoin, on se demande même si les célèbres demi-teintes à la Kaufmann n'en étaient pas plus maniérées. Un détail en regard d'une telle perfection, due au fait que, jusque dans ce répertoire dit léger, Kaufmann conserve un chic, une élégance, un sérieux qui l'immunisent contre la vulgarité ou le mauvais goût. Même quand il prend la baguette pour diriger avec panache la Frühjarsparade de Robert Stolz!

Quant au Münchner Rundfunkorchestre, l'orchestre B de la Radio bavaroise, il est la survivance historique de ces formations spécialisées dans le répertoire lyrique et populaire, dont on sent que les musiciens en possèdent toutes les ficelles, à l'image de ce violoncelliste à la barbe blanche, Walter Brachtel, à qui Kaufmann, avant de lui dédier le dernier bis, remit un bouquet de fleurs pour son dernier concert avant une retraite faisant suite à quarante ans de bons et loyaux services. La fête mais avec classe.






 
 
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