|
|
|
|
|
Olyrix, 26/08/2024
|
Par Pierre Géraudie |
|
Wagner: Tristan und Isolde, 2. Aufzug, Gstaad am 23. August 2024
|
|
Gstaad en mode Bayreuth avec Jonas Kaufmann
|
|
|
Jonas Kaufmann revient au Gstaad
Menuhin Festival pour le deuxième acte du Tristan et Isolde de Wagner en un
concert semi-scénique :
Il avait déjà été fort applaudi dans
ce même répertoire, en 2018, avec le premier acte de La Walkyrie où il
s’était montré à son avantage (notre compte-rendu). Voici donc Jonas
Kaufmann de retour à Gstaad dans ce répertoire wagnérien. Le public est venu
très nombreux jusque sous la tente géante du Festival : de Suisse,
d’Allemagne, de France et même de plus loin encore pour écouter le ténor
star dans cette soirée placée sous le signe du maître de Bayreuth. Outre le
deuxième acte de Tristan et Isolde (partition achevée par Wagner non loin de
là, à Lucerne, en 1859), sont ainsi programmés le Prélude et L’Enchantement
de Vendredi Saint de Parsifal.
Cette première partie vouée à opérer
une forme de montée en tension voit toutefois le Gstaad Festival Orchestra
inspirer davantage l’idée d’une flamme naissante que d’un feu nourri. La
musicalité est là, bien sûr, mais il manque des couleurs prononcées, des
nuances creusées : les coups d’archet semblent encore tout en retenue, moins
chevaleresques que simplement distingués. Et il faut donc l’arrivée de
Tristan pour que tout change. Soudain, sous la direction de Mark Elder n’en
restant pas moins économe de grands gestes, voici que se dessinent des tempi
plus énergiques, que les cordes se font enfin bouillonnantes, les cuivres
retentissants, et les bois d’une suavité d’autant plus saisissante dans cet
univers de ténèbres. En clair, voici que l’orchestre devient profondément
lyrique, à point nommé.
Et l'orchestre se doit d'être pleinement
expressif, pour de tels interprètes et dans cette version. Sur scène, aucun
élément de décor, sinon des cubes sur lesquels s’asseoir et poser une torche
venant rappeler que tout se passe en pleine nuit. Des images animées
défilent sur les parois délimitant la scène, faisant apparaître branches et
troncs d’arbres, visages aux mines endolories, et même fruits (certainement
défendus), le tout visant sans doute à plonger l’auditoire dans un univers
de mystère et de nébulosité. Voilés par de vastes pans de tulle, comme pour
mieux les rendre plus énigmatiques, ces visuels animés ne dérangent guère,
mais n’apportent au fond que la possibilité de pouvoir furtivement se
divertir les yeux, quand ceux-ci ne sont attirés que par une seule
direction, celle de l’avant-scène.
Amour sans philtre
C’est
bien là, devant l’orchestre, sur ce qu’il reste de largeur de plateau, que
les solistes viennent donner (beaucoup de) vie et (un peu de) mouvement à ce
Tristan dans lequel Jonas Kaufmann est bien sûr particulièrement attendu. Le
ténor allemand ne force pas ses moyens. Mais même dans ces habits
impersonnels (une chemise de concert), sa manière d’habiter le rôle est
frappante, avec ce visage toujours si expressif, ces mimiques récurrentes,
et ces façons de serrer le poing ou de ramener les mains sur le cœur pour
mieux prolonger par le geste ce que chante la voix. Celle-ci, en l’espèce,
se fait ici des plus expressives et percutantes, même si Kaufmann est
d'habitude plus téméraire dans l’aigu. Reste que l’essentiel est là : la
beauté de la ligne, la fermeté de l’émission, la distinction du timbre, et
ces manières de donner tout leur relief aux nuances, à l‘image de ces
emplois à mi-voix qui font depuis longtemps le sel de son instrument vocal
visiblement toujours aussi magnétique.
À ses côtés en Isolde, Camilla
Nylund restitue avec tout autant de conviction l’affliction qui ronge son
personnage. Il n’est ici pas question de philtre (il est bu à l’acte I),
mais bien d’amour, qui est dépeint ici avec conviction par cette princesse
au visage grave et inquiet, qui soudain rayonne davantage à l’instant
d’étreindre Tristan. Quant à la voix, elle se fait endurante (comme dans ce
long duo où jamais la tension ne retombe), avec un aigu rayonnant venant
détoner avec des graves et un bas medium par moments moins audibles (sans
doute aussi parce que l’orchestre ne ménage pas ses effets sonores).
Dans l'emploi tout en dévotion et accablement que représente Brangäne, Sasha
Cooke déploie toute la moelle de son chaleureux mezzo, aussi ample que
richement timbré, et lustré par un vibrato d’orfèvrerie.
Christof
Fischesser est un Roi Marke plein d’autorité, dont la triste colère exprimée
face à Tristan est saisissante de vérité, portée par sa basse de belle
rondeur à la projection pleine de prestance, avec une ligne toujours
soucieuse de restituer toute la rythmique du phrasé et la teneur
émotionnelle du récit.
Enfin, Todd Boyce est un Kurnewal de
figuration mais un Melot de riche composition, au comportement vengeur et
vindicatif, et à la voix de baryton assurée et énergiquement projetée (avec
une pointe de chaleur du plus bel effet dans le medium).
Alors, bien
sûr, il n’y a pas ce troisième acte, qui voit Tristan expirer, avec cette
intensité dramatique venant culminer sur le Liebestod (Mort d'Amour)
d’Isolde. Les applaudissements très nourris de la part du public multiplient
les demandes de rappels pour saluer à nouveau les artistes. Et en
particulier "Jonas", évidemment.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|