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Opera Online, 30. Mai 2023 |
Alain Duault |
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Giordano: Andrea Chenier, Milano, ab 24. Mai 2023
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Le point de vue d’Alain Duault :
Jonas Kaufmann, Sonya Yoncheva, un Andrea Chenier de luxe à la Scala
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Andrea Chenier, le chef-d’œuvre
d’Umberto Giordano, est un des opéras caractéristiques du « vérisme », ce
mouvement qui, à la fin du XIXème siècle, de Mascagni (Cavalleria Rusticana)
à Leoncavallo (Paillasses), Cilea (Adrienne Lecouvreur) ou Puccini (Tosca),
a voulu transposer dans la musique le naturalisme d’écrivains comme Zola en
France ou Giovanni Verga en Italie. Mais on ne l’entend guère, alors que
c’est un opéra qui a, dès sa création en 1896, suscité un intérêt
considérable dans le monde entier (à l’exception de… la France où il a été
jugé « contre-révolutionnaire » !).
L’ouvrage relate les amours
tragiques du jeune poète André Chénier, un personnage réel, né en 1762 et
mort à 31 ans, le 25 juillet 1794, sous la Terreur, avec Aimée de Coigny
(devenue dans l’opéra Madeleine de Coigny), la jeune femme réelle qui a
inspiré à Chénier son plus célèbre poème, La Jeune Captive – mais qui n’aura
pas le même destin que celui que lui donne Giordano, puisqu’elle réussira,
en soudoyant un geôlier, à quitter la prison de Saint-Lazare, survivra à la
Révolution, tiendra un salon très réputé sous l’Empire et mourra en 1820.
Quant à André Marie de Chénier, s’il inclinait vers les idées de la
Révolution, il était en désaccord avec Robespierre : fatale erreur ! C’est
bien pourquoi il sera condamné et exécuté (la Justice n’avait guère de
lenteurs alors !), après que Fouquier-Tinville eut prononcé cette phrase
terrible : « La Révolution n’a pas besoin de poètes ». Comble d’ironie :
Robespierre sera lui-même condamné et guillotiné… trois jours plus tard !
Car l’opéra mêle des figures authentiques à des figures de fiction, mais
entourées d’une kyrielle de personnages secondaires, des aristocrates et des
petites gens, des soldats et des membres du tribunal révolutionnaire, tous
campés de façon très réaliste, telle la scène du tribunal, d’une parfaite
justesse. La mise en scène de Mario Martone, reprise de celle de 2017, est
toujours aussi efficace et accomplie, dans des décors clairs et des costumes
bien inscrits dans l’histoire, qui donne à voir et suivre le récit – ce qui
se fait rare sur les scènes lyriques…
Surtout, la musique, d’un
lyrisme irrésistible, avec une riche palette sonore et vocale, emporte
l’adhésion, avec quelques moments très intenses, sous la direction toujours
ardente de Marco Armiliato. D’autant que la distribution réunie est
superlative, avec trois voix exceptionnelles pour les trois rôles principaux
: Jonas Kaufmann en premier lieu, dans le rôle-titre, voix aux couleurs
mi-or mi-cuivre, phrasés élégants, d’abord avec la fameuse « improvisation »
du début, quand Chénier clame ses convictions, puis dans toutes ses
apparitions jusqu’au duo final, tendre et frémissant. Jonas Kaufmann aborde
son Chenier sans arrogance, colorant peu à peu ses phrasés pour déployer
l’humanité du personnage : du grand art.
Et que dire de la prise de
rôle de Sonya Yoncheva en Madeleine de Coigny ? Elle est en ce moment au
plus haut de ses possibilités : la voix est ample, colorée, lumineuse, toute
empreinte d’une sensualité à fleur de lèvres, la conduite de la ligne
éblouissante, l’intelligence du personnage lui offrant une évidence
culminant dans l’air le plus célèbre de l’opéra, au troisième acte, « La
mamma morta » (que les cinéphiles connaissent pour l’avoir découvert dans le
film Philadelphia, interprété par Maria Callas) : une grande dame.
Mais il faut souligner aussi la présence très applaudie, et avec raison, du
jeune baryton mongol Amartuvshin Enkhbat, timbre sombre mais jamais étouffé,
projection splendide sans jamais rien forcer, autorité vocale et scénique
affirmée : une voix à suivre. L’ensemble de la distribution est d’ailleurs
aux normes d’excellence qui sont celles de la Scala, dont la renaissance à
tous les niveaux, après des années précédentes secouées, se montre aussi
dans l’annonce de la nouvelle saison, d’une qualité que cette maison n’a pas
connue depuis longtemps. Il faut retourner à la Scala !
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