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Forum Opera, 21 Janvier 2023 |
Par Jean Michel Pennetier |
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Verdi: Aida, Wien, ab 14.1.2023
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PLa nuit des étoiles
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Les distributions multi-stars sont
devenues bien rares sur la planète lyrique, et on ne peut que se féliciter
que l'Opéra de Vienne ait réussi la prouesse de réunir quelques-uns des plus
grands artistes du moment pour cette Aida. Musicalement, l’affiche tient ses
promesses et tous les chanteurs annoncés sont bien au rendez-vous. Dans une
forme exceptionnelle, Anna Netrebko offre une esclave éthiopienne vocalement
splendide. Le legato est magnifique et les piani dispensés à profusion et
toujours avec goût (y compris celui, rarement respecté, d'« O Patria mia »).
La projection est imposante et homogène sur tout l'ambitus, le timbre est
resté d'une incroyable fraicheur, le vibrato est transparent, et les
quelques défauts d'intonation qu'on a pu relever à certaines occasions sont
ici anecdotiques. Toutefois, le soprano peine à dessiner un véritable
personnage et à susciter l’émotion. Dramatiquement, elle reste extérieure au
rôle, y compris dans ses duos, et nous avons du mal à compatir à ses
malheurs : il est vrai qu’elle est peu aidée par la mise en scène, nous y
reviendrons.
A l'occasion de cette série, Elīna Garanča faisait sa
prise de rôle en Amneris. Le pari est remporté de maîtresse façon, avec une
assurance qui force le respect. Dramatiquement, les différentes facettes du
personnage sont parfaitement composées, toujours avec une grande classe :
son Amneris est bien une jeune princesse amoureuse soumise aux affres de la
jalousie, et non une matrone vindicative comme cela arrive parfois. Son duo
final avec Kaufmann, suivi de sa grande scène, sont des monuments de chant
et de théâtre, et déclenchent d’ailleurs la plus grande ovation de la
soirée. Vocalement, les aigus dardés, qui font trembler les murs,
impressionnent tout autant que les graves spectaculairement poitrinés (et on
espère que l’instrument ne restera pas éprouvé par un tel engagement !).
Formidable parcours d'une artiste qui s'illustrait il y a vingt ans dans
Mozart et Rossini, et qui s'est orientée avec intelligence vers des rôles de
plus en plus lourds, où son tempérament scénique volcanique a trouvé à
s'exprimer.
Jonas Kaufmann démarre la soirée sur la réserve : son «
Celeste Aida » est certes superbement chanté (avec un si naturel piano enflé
puis conclu diminuendo), mais on se croirait davantage au récital qu'à
l'opéra tant les effets sont un peu téléphonés. La projection, un brin
chiche, ne rend pas non plus justice à ce personnage de guerrier. Il est
vrai que Verdi n’a pas été tendre avec le rôle, lui infligeant son unique
grand air à froid dès le début du premier acte, sans plus grand-chose à
chanter jusqu’aux deux derniers. Les choses changent du tout au tout en
seconde partie où Kaufmann, galvanisé par ses partenaires, offre des duos
électrisants et pousse sa voix dans ses retranchements. Le ténor allemand ne
sacrifie d’ailleurs pas pour autant les passages les plus élégiaques, où son
art du messa di voce reste admirable. Luca Salsi campe un Amonasro à la voix
bien conduite, mais manquant un peu du mordant et de la noirceur des
meilleurs défenseurs du rôle. Alexander Vinogradov est un Ramfis de luxe, au
timbre riche et à la projection généreuse. En Roi d'Egypte, le jeune Ilja
Kazakov (chanteur maison de 30 ans...) est déjà plus qu'une promesse : sa
voix généreuse et sa présence scénique laisse présager une carrière
internationale. La Prêtresse d'Anna Bondarenko (autre artiste de la troupe)
est impeccable, avec un timbre moins évanescent qu'à l'accoutumée pour ce
rôle (elle chantera Musetta le lendemain alors qu'elle compte également des
rôles de mezzo à son répertoire). En Messager, Hiroshi Amako offre un timbre
plaisant. Phénomène acoustique de fond de parterre ? Les chœurs sont un peu
trop discrets tout au long de la soirée. A la tête d’un orchestre de haute
tenue, Nicola Luisotti propose une direction élégante et attentive au
plateau, mais manquant un peu de flamme. On aimerait un peu de sécheresse
toscaninienne pour souligner les lignes de force de la progression
dramatique. Le chef sait en revanche faire ressortir certaines subtilités de
la partition qui passent ordinairement inaperçues.
Créée en 1984, la
production de Nicolas Joel (décédé en 2020) a pour elle un dispositif
scénique plutôt esthétique, mais d'un maniement laborieux. Les différents
changements imposent ainsi trois rideaux intermédiaires en première partie,
et deux durant la seconde, avec saluts des principaux protagonistes. Le
rythme de la représentation est ainsi régulièrement entravé, alors que
l’ouvrage est déjà naturellement statique, en particulier dans sa première
partie. Par ailleurs, les lourds décors de Carlo Tommasi rendraient
dubitatif tout égyptologue, voire un touriste de retour de Louxor : on y
reconnait certes nombre de symboles antiques, mais les lieux ainsi délimités
sont purement imaginaires... et souvent trop encombrés1 ! Les prêtres sont
habillés en majorettes et une partie des figurants (bleus) semble sortie
d'Avatar. Les mouvements de foule sont chorégraphiés comme une revue à la
belle époque du Casino de Paris, le plateau chantant unanimement face au
public, avec des figurants se déplaçant de-ci de-là, de manière souvent
incongrue. Par exemple, lors du triomphe, la chaise à porteurs du roi est
amenée au milieu de la scène, puis, quelques minutes plus tard, remisée côté
jardin tandis que celle d'Amneris fait un créneau côté cours. L'excellent
corps de ballet mériterait également une nouvelle chorégraphie. Au global,
le spectacle se laisse tout de même voir avec plaisir, mais rien dans la
mise en scène ne vient contribuer à instaurer le drame sur scène, et les
solistes semblent laissés à eux-mêmes, ne devant compter que sur leur métier
pour donner vie à leurs personnages. Une telle distribution aurait
assurément mérité une nouvelle production ou, à tout le moins, un travail
théâtral plus approfondi.
Malgré ces quelques réserves, cette Aida
est l'événement de ce début d’année pour le public viennois et pour les
voyageurs lyriques : les chercheurs de billets de dernière minute étaient
nombreux devant le théâtre malgré les près de 600 places debout vendues
quelques heures avant le spectacle. La représentation reçoit au final un
accueil chaleureux du public, particulièrement conquis par la prestation
d'Elīna Garanča. |
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