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Forum Opera, 15 Mars 2022 |
Par Yannick Boussaert |
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Puccini: Turandot, Rom, Accademia di Santa Cecilia, 12. März 2022
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A Rome, une version de référence pour une Turandot particulière
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Nul doute que la version de concert de
Turandot à l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia fera date. La qualité des
forces réunies – chef, chœurs, orchestre et distribution – alliée au choix
de la première version du final de Franco Alfano, celle retoquée par
Toscanini, feront figurer en excellente place dans la discographie
l’enregistrement réalisé par Warner dans les jours qui ont précédé ce
concert*. Le premier final d’Alfano n’est pour ainsi dire jamais donné. A
notre connaissance, seule le Deutsche Oper Berlin le propose. Il faut croire
que l’oukase de Toscanini aura provoqué une certaine surdité chez les
mélomanes. C’est bien l’intégralité du texte que le compositeur italien met
en musique depuis les esquisses laissées par Puccini. Il ne s’agit plus de
donner corps à un grand duo, « alla Tristano », mais d’une scène avec ses
échanges et ses tirades. Le tout doit durer une dizaine de minutes
supplémentaires et sollicite encore davantage Turandot, qui hérite de deux
beaux monologues qui permettent de rendre crédible la métamorphose
amoureuse. Alfano amène progressivement la Princesse de glace vers une
vocalité plus sensible et proche de celle d’une Liu. La boucle est bouclée ;
la mort de la jeune esclave rendue « utile ». Outre ces ajouts, des
modifications substantielles viennent charmer l’oreille : la révélation du
nom de Calaf et tout le final où la soprane et le ténor entonnent des « amor
» aigus et fortissimo par-dessus le chœur et l’orchestre en un final encore
plus grandiose que le succédané de mélodrame vériste validé par Toscanini.
Evidemment pour rendre justice à ce morceau de bravoure qui vient
conclure un opéra qui en comporte déjà son lot garni, il faut des solistes
hors pair. C’est le cas avec Jonas Kaufmann et Sondra Radvanovsky, tous deux
en « prise de rôle » (même si les puristes n’accepteront le terme qu’une
fois les lampions accrochés aux murs de la Cité Interdite et à la coiffe de
Turandot). Le ténor allemand, poussé dans ses retranchements, met à profit
tout le travail et l’endurance acquis avec les rôles de Paul et Tristan. Il
ne refuse aucun obstacle, comme l’ut de « Ti voglio ardente d’amor » à
l’acte II et autres nombreux aigus qu’il tient au-delà de la valeur des
notes, s’insérant dans une tradition interprétative enthousiasmante. Son
timbre sombre et mordoré convient parfaitement au personnage. Il en dresse
un portrait partant de Thanatos et allant vers Eros, enlumine ces contours
psychologiques de très belles nuances piano ou en mezza voce, et d’aigus
solides où le timbre retrouve une brillance bienvenue. Certes le volume est
moindre que celui de Sondra Radvanovksy, ce qu’une projection exemplaire et
une solide technique permet de compenser. Il est salué par des bravi mérités
à l’issu d’un « Nessun dorma » poétique et enflammé auxquels Antonio Pappano
ne cédera pas, enchainant sur l’intervention des masques. Après Munich, nous
avions dit à quel point l’arrivée d’une Anna Netrebko dans le paysage des
Turandot était salutaire : enfin une voix qui nous sortait des wagnériennes
émérites, solides comme des rocs, mais finalement coupées d’une part non
négligeable de l’héritage italien de Puccini. Que la plus grande
bel-cantiste actuelle s’approprie le rôle fait événement. D’autant que
Sondra Radvanovsky dispose d’une des voix les plus volumineuses du circuit.
Elle réalise la quadrature du cercle : elle transperce l’orchestre avec une
facilité déconcertante, crucifie l’auditoire à chacune de ses interventions
au deuxième acte et vient à bout de ce final exigeant avec brio. Surtout,
au-delà du Guinness des Records de ses exploits, c’est bien l’interprétation
qui nous place sur des cimes. Mezza-voce, piani déposés dans les recoins les
plus impossibles du rôle, Sondra Radvanovsky laisse miroiter le feu sous la
glace. On pourrait la surnommer « madame messa di voce » tant elle a fait de
cette figure de style un sceau personnel. Rien de gratuit ou d’ostentatoire
dans ces nuances, elle les emploie avec une justesse dramatique confondante
telle celle qu’elle dépose sur le « o » de « il suo nome e amor » à la toute
fin et qui sonne comme un aveu rentré et finalement assumé fièrement à la
face du monde. A l’issue de ce concert, un seul désir nous tenaille :
l’entendre de nouveau.
Une version de référence ne va pas sans un
entourage à la hauteur. Certes, on peut être lassé des simagrées d’une
Ermonela Jaho dont le registre inférieur est maintenant débraillé en
comparaison de la lumière et de la subtilité des piani et du souffle long
qu’elle mobilise dans les airs de Liu. Qu’importe là encore, la frêle
esclave convient parfaitement à ce tempérament scénique et vocal à fleur de
peau. Michele Pertusi aborde Timur avec une humilité bienvenue que seule la
déploration sur le corps de Liu viendra briser. La voix est chaude et ronde
et suffit à porter l’humanité de ce roi déchu. Leonardo Cortellazzi s’avère
un Altoum idéal, conférant une couleur toute rossinienne à cet Empereur
réduit aux utilités. Michael Mofidian assume crânement les deux
interventions du mandarin avec puissance et un beau métal, alors qu’Antonio
Pappano choisit un tempo rapide qui lui complexifie la tâche. Enfin, les
trois masques sont idéalement distribués : le Pang de caractère de Gregory
Bonfatti se distingue immédiatement du Pong lumineux de Siyabonga Maqungo.
Mattia Olivieri confirme, s’il le fallait encore, qu’il est un grand du
circuit. Il domine sans le vouloir le trio de son baryton clair et sonore,
coloré et nuancé et incarne un bourreau cruel face à Liu.
Une version
de référence doit pouvoir compter sur des effectif choraux et orchestraux
idoines. On sort charmé par les Chœurs et les Voci Bianche de Santa Cecilia.
Antonio Pappano utilise toutes les rangées d’arrière-scène pour spatialiser
leurs interventions. Elles sont irréprochables de puissance ou de douceur
selon les scènes. Il en va de même pour l’orchestre, où l’on entend une
préparation méticuleuse. Là encore, les cuivres, saxophones notamment, sont
mis en avant par leur positionnement en haut des gradins. Manière pour le
chef italien de montrer que Turandot n’est pas le dernier feu du mélodrame
italien mais bien une œuvre contemporaine de Wozzeck. La lecture d’Antonio
Pappano fera date elle aussi. Elle se caractérise par de forts contrastes
(dans les tempi notamment) et un travail de chaque instant sur les tons et
les couleurs. Cette maestria totale s’accompagne d’un sens théâtral parfait
et porte l’ensemble de la distribution vers les sommets, en même temps
qu’elle réhabilite ce premier final, nous l’avons dit. Il faudra attendre
février 2023 pour que les ingénieurs de Warner finalisent leur travail sur
l’intégrale à l’origine de ce concert. Il nous tarde déjà.
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