|
|
|
|
|
Olyrix, 28/04/2022 |
Par Vojin Jaglicic |
|
Puccini: Tosca, Neapel, ab 20. April 2022
|
|
Jonas Kaufmann enchante Naples avec Tosca
|
|
Pour sa deuxième production de la saison
au Teatro San Carlo, Jonas Kaufmann incarne Cavaradossi dans la reprise de
Tosca mise en scène par Edoardo De Angelis, partageant le plateau avec
Oksana Dyka et Gabriele Viviani dans les rôles principaux.
La Naples
lyrique, celle de la plus ancienne maison d'opéra (en activité) au monde,
celle des castrats, de Leoncavallo et de Caruso, semble décidément avoir
retrouvé son nouveau favori : Jonas Kaufmann, la vedette bavaroise qui
revient au San Carlo avec Tosca de Puccini, après une ouverture de saison
triomphale en Otello, jouée à guichet fermé (notre compte-rendu). Longtemps
absent du palcoscenico napoletano –scène napolitaine–, il revient même cette
fois décoré et consacré par le premier prix "Enrico Caruso" (décerné par le
musée et l'association du même nom, créés en 2021 pour commémorer les 100
ans de la mort du célèbre ténor napolitain) : une reconnaissance symbolique
à l’image de l'ampleur et du succès de sa carrière à travers le monde. Cette
production devait également marquer les débuts maison et la prise du rôle de
Scarpia par Ildar Abdrazakov, mais la basse russe a finalement dû quitter
les répétitions pour des raisons personnelles.
Comme pour Otello
(signé par Mario Martone), c'est à un cinéaste originaire de la ville qu’est
confiée la Tosca de Puccini (pour sa première incursion dans le monde
lyrique) : Edoardo De Angelis. Celui-ci transpose l'action vers un monde
obscur, dystopique et iconoclaste. Toutes les scènes se déroulent sur fond
noir, accentuant le côté ténébreux et tragique de cette histoire. Le peintre
Cavaradossi est transformé en sculpteur, qui “taille” la figure d’une femme
dénudée (belle et bien vivante) au cœur d'une croix de béton et en ruine. Ce
jeu iconoclaste avec les symboles ecclésiastiques se poursuit dans l'acte
suivant, par un décor frôlant l'occultisme dans la chambre de Scarpia,
alchimiste (avec un crocodile pendu et une multitude d'objets et de bougies
sur sa table à manger). Le finale se joue devant une statue d'ange déchu et
décapité, présage annonçant la mort des deux héros et la victoire du côté
obscur. Edoardo De Angelis marie ainsi modernisme et tradition, sans perdre
le fil narratif.
Jonas Kaufmann chante assurément et vaillamment. Son
phrasé est lisse et sans entrave, grâce à un legato soyeux et une ligne
minutieusement travaillée. Son vaste éventail dynamique et expressif met en
valeur la complexité de son personnage : la suavité exquise (piano) aussi
bien qu’un héroïsme wagnérien (forte, de toutes ses forces) avec robustesse
et une considérable longueur de souffle, impressionnant le public en tenant
à pleins poumons ses notes généreuses. Il se heurte parfois, toutefois, à
des difficultés de justesse dans les aigus, poussés et serrés, mais sans le
perturber pour autant, ni dans son chant, ni dans son jeu d'acteur riche en
émotions, adossé à une prononciation soignée (une de ses marques de
fabrique).
La soprano ukrainienne Oksana Dyka incarne le rôle-titre
d’une voix dramatique et perçante, insufflant beaucoup d'énergie dans le jeu
scénique qui traduit avec conviction le caractère passionnel et les
différents états d'âme de l’héroïne (l'amour, la jalousie, le meurtre et
l'orgueil). Son chant mise beaucoup sur les cimes, d'un son pointu et
tranchant (à la manière de Turandot). Les transitions vers les aigus
manquent toutefois d'assurance dans l'intonation, fragilisant la justesse,
et la force vocale œuvre quelquefois au détriment de l'intelligibilité du
texte (dans le fameux air “Vissi d'arte”, l'émission est courte et le
vibrato échappe à la maîtrise des finesses dynamiques). Son dernier duo avec
Jonas Kaufmann est en revanche précis, tonalement et rythmiquement.
Gabriele Viviani assure le caractère ténébreux et méchant de Scarpia, dans
le jeu comme dans le chant. La voix est charnue et stable, expressive et au
service du drame, avec une projection qui ne manque pas de résonance. Bien
qu'il soit légèrement limité dans les cimes, ses voyelles arrondies sont
bien timbrées et amples dans le diapason médian. Le phrasé belcantiste
s'associe naturellement avec sa prosodie impeccable.
Le Sacristain
de Sergio Vitale arbore une voix claire-obscure et vibrante, étoffée dans
les graves. L'intonation s'avère fragile, mais sans trop nuire à l'équilibre
du ton qu'il présente. Le rôle du fugitif Angelotti est confié aux bons
soins d'Emanuele Cordaro, basse italienne nourrie et noircie comme le cachot
qu’il quitte, précis et rapide dans sa brève prestation vocale.
Francesco Pittari (Spoletta) propose une voix de ténor mince et lyrique,
assez souple mais manquant de force dans sa projection. Sciarrone est joué
par Giacomo Mercaldo avec une allure menaçante et dangereuse, mais lumineux
dans la partie supérieure de sa gamme. Enfin, Gianvito Ribba incarne le
Geôlier dans les profondeurs de sa tessiture, mais la voix un peu
tressaillante manque de maîtrise et de finesses.
L'Orchestre du
Teatro San Carlo dirigé par le chef slovaque Juraj Valčuha, est un vecteur
du drame, offrant un support musical dosé et au service des solistes. Le
tutti orchestral est particulièrement délicat (à l’image du solo de
clarinette accompagnant le grand solo du ténor). Cependant, les cordes sont
en discorde et manquent d’élan dramatique dans la scène du Baiser de Tosca.
Le Chœur préparé par José Luis Basso est solide (bien que moins sonore avec
leurs masques), tandis que les sopranos présentent quelques difficultés dans
les cimes. Le chœur d'enfants marie habits et voix angéliques, de couleurs
blanches et pures.
Le public acclame aux saluts les artistes,
notamment les rôles principaux, mais explose en exaltations pour Jonas
Kaufmann, ovationné, couvert de fleurs et rappelé sans cesse.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|