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Resmusica, 10 août 2022 |
Dominique Adrian |
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Liederabend, Salzburg, 7. August 2022
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Jonas Kaufmann à Salzbourg, Lied et star system
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Dans une atmosphère peu propice
à la concentration, Jonas Kaufmann montre quel musicien d’exception il
reste.
Que veulent les fans ? Les premiers Lieder du
programme choisi par Jonas Kaufmann pour ce récital salzbourgeois ont été
suivis d’intempestifs applaudissements gênant visiblement le chanteur autant
que les amateurs de Lied dans le public. Il a ensuite pris prétexte de
l’arrivée d’un retardataire à l’une des places les plus chères de la soirée,
placé contre tout bon sens par le festival pendant lesdits applaudissements,
pour demander au public de s’abstenir dans la mesure du possible. Il n’a pas
été écouté : que veulent les fans, qui préfèrent s’étourdir de leurs
applaudissements plutôt que de respecter la demande raisonnable de celui-là
même qu’ils applaudissent ?
Un tel comportement est d’autant plus
regrettable que le concert, lui, méritait bien d’être écouté avec attention,
malgré deux défauts majeurs. Le premier est une conséquence du funeste culte
des stars : un programme qui aurait demandé une salle intime s’en trouve
programmé dans les trop grands espaces du Grosses Festspielhaus, dont
l’acoustique précise et riche ne rattrape pas tout à fait l’immensité. Le
second est dû au chanteur lui-même : quelle idée de proposer en première
partie douze Lieder de douze compositeurs différents ? C’est là encore
l’inverse de l’essence du Lied : la poésie a besoin de temps pour se
déployer, pas de changements brusques. L’ensemble est extrait de son récital
Selige Stunde, mais ce n’est pas une excuse.
Mais les réserves
théoriques tombent vite face à l’intégrité stylistique et aux moyens vocaux
inentamés du chanteur. Certes, Jonas Kaufmann a des pairs dans le Lied,
seule l’absurdité du star system lui donne un public que d’autres tout aussi
méritants n’ont pas ; Mark Padmore ou Ian Bostridge, par exemple, apportent
des couleurs plus sombres que Kaufmann n’a pas. Le sens du mot est toujours
là ; la capacité à alléger la voix, sans jamais céder sur la projection, est
impressionnante pour un musicien qui chante désormais Otello ou Tristan :
ces Lieder, souvent très connus, parfois plus rares, ont beau être
hétérogènes, le chanteur réussit à leur donner à chaque fois leur atmosphère
propre. Le Lied de Dvořák Als die alte Mutter est un des sommets émotionnels
de cette partie, mais c’est avec Mahler, Ich bin der Welt, qu’il la conclut,
dans une interprétation très retenue d’une grande précision musicale.
La deuxième partie du concert est elle aussi extraite d’un disque, mais
elle est beaucoup plus cohérente : les Lieder de Liszt, rares au concert
comme au disque, méritent bien d’être ainsi défendus. À l’exception des
anecdotiques Cloches de Marling, tous sont des merveilles, qui obligent
Kaufmann à sortir de l’atmosphère éthérée, d’amours romantiques en paysages
bucoliques, qui parcourt la première partie. Passons sur un accent vériste
trop appuyé à un moment de O lieb, so lang du lieben kannst, sur une
tendance un peu trop systématique à monter en voix de tête déjà présente
avant l’entracte. L’investissement du musicien, la densité poétique de sa
diction, la compréhension intime des enjeux de chaque œuvre sont à la
hauteur de l’inspiration de Liszt. La bile de Vergiftet sind meine Lieder
est tout aussi convaincante que la fantaisie bizarre des Drei Zigeuner de
Lenau ; des deux versions composées par Liszt du poème de Goethe Freudvoll
und leidvoll (plus connu par le Lied de Beethoven dans sa musique de scène
pour Egmont), la première est la plus passionnante, refusant le pathos,
semblant découvrir les mots au fur et à mesure et pesant les résonances
émotionnelles de chacun d’eux : tout star qu’il est, Kaufmann approfondit
cette introspection avec une bouleversante simplicité.
La longue
séance de bis, avec un public prêt à partir après chacun d’entre eux, nous
ramène dans le quotidien banal du star system, mais peu importe : avec la
complicité de Helmut Deutsch, conseiller précieux et accompagnateur toujours
un peu trop discret, Jonas Kaufmann montre que l’intégrité artistique
résiste même en conditions difficiles.
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