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Opera Online, 3 avril 2022 |
Thibault Vicq |
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Liederabend, Paris, 3. April 2022
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Jonas Kaufmann, Diana Damrau et Helmut Deutsch à la Philharmonie de Paris : les vertiges de l’amour
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Avec le titre « Love Songs », le décor
est planté. Le trio formé de la soprano Diana Damrau, du ténor Jonas
Kaufmann et du pianiste Helmut Deutsch donne une nouvelle version de l’amour
à la Philharmonie de Paris après son savoureux Italienisches Liederbuch (de
Hugo Wolf) il y a quatre ans. Les chanteurs dégainent l’un après l’autre des
lieder de Robert Schumann et Johannes Brahms, et nous emmènent ainsi dans un
romantisme allemand où les déclarations prennent la nature pour témoin, où
les couleurs et matières musicales comptent autant que la vision et le
toucher dont les déclamateurs s’enivrent.
Et cette expression des
sens ne pourrait exister sans le fantastique Helmut Deutsch, qui marie les
coquillages et les pétales, qui met d’accord les eaux et les airs. Il bâtit
chaque air sur pilotis, dans une structure à la fois stable et en mouvement,
en transparence de la prosodie, bien que l’ouverture et la clôture des
univers restent en ses mains propres. On ne parlera pas des nuances,
évidemment parfaites, mais de ce que les touches et les pédales peuvent dire
ou cacher sciemment. Le terrain qu’emprunte l’instrumentiste est
photographique, car il livre la phrase et l’assise, accompagnées de leur
négatif. Les notes s’accomplissent et se suggèrent dans le même temps,
pendant que le réel du discours se love dans le symbole de la poésie. Le
pianiste intériorise l’harmonie jusqu’à n’en restituer que des coups de
projecteur, comme le bateau sur l’eau à l’intérieur d’un roulis
incontestable, ou comme le suivi minutieux d’un fil emmêlé depuis son
origine. Il ne fait pas de ces lieder un traité d’analyse : il en tire le
fil des cadences sans évidence, il noue la continuité des deux mains jusque
dans les sauts d’octaves. Car c’est encore de lumière dont il s’agit : des
angles de vue sensuels qui illuminent les aspérités de chair et d’humanité,
des ralentis de silences qui font tarder le plateau d’écoute. Chacun de ses
concerts est un tour de prestidigitation dont on sort vivifié. Celui-ci ne
fait pas exception.
Diana Damrau saisit toutes les habiles perches
musicales que lui lance Helmut Deutsch. Elle convoque les oxymores dans un
parcours auquel elle donne une portée immense dans chaque lied . Ses
personnages ne brûlent pas d’un amour soudain, mais s’approprient un désir
grandissant. La naïveté est transcendée de dignité et de profondeur car les
notes brillent par leur signification rougeoyantes. Le battement d’ailes du
rossignol n’omet pas l’écho intérieur, la course des nuages s’intéresse
aussi aux teintes de l’air. La soprano joue tous les rôles, et les élans du
cœur sont pour elle une récréation permanente et communicative. Syllabes et
timbres, voltiges et caresses vocales, tout concourt à célébrer
l’immédiateté sous plus beaux atours.
S’il fallait ne résumer la
prestation de Jonas Kaufmann qu’à un seul terme, ce serait « legato ». Les
poèmes en musique lui inspirent des matériaux uniques et indivisibles, pour
lesquels la nature des sentiers arpentés n’est révélée qu’après les derniers
vers. Il cultive un héroïsme de la mezza voce, doublée d’une césure du verbe
sans coupure de phrasé. Il chante une masculinité de l’émotion plutôt que de
la testostérone rêveuse, mais joue peut-être moins que sa partenaire dans la
variété des masques. La recette de la voix de tête et du piano semble sans
doute trop systématique et génère de surcroît quelques problèmes de
justesse. Par surplus de subtilité et d’intimité, il révèle d’emblée toutes
ses cartes expressives, alors que sa ponctuation rythmique reste génératrice
de surprises en série. Si l’amour l’a déjà pris dans ses filets, le public
n’en finit pas de lui porter tout le sien.
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