|
|
|
|
|
Olyrix, Le 14/08/2022 |
Par Pierre Géraudie |
|
Beethoven: Fidelio, Gstaad und Grafenegg, August 2022
|
|
Fidelio au Gstaad Menuhin Festival, une vedette peut en cacher une autre
|
|
|
Avec sa thématique viennoise repoussée à
cette année et sa célébration des 250 ans de la naissance de Beethoven, le
Gstaad Menuhin Festival fait comme tous les étés l’événement dans les Alpes
bernoises et bien au-delà. Son programme prestigieux culmine notamment en un
Fidelio où Jonas Kaufmann, adulé en ces terres alémaniques comme à travers
le monde, partage la vedette.
Est-il né en 1770, la date
“officiellement” reconnue par la postérité, ou en 1772, comme l’affirment
certaines thèses ? Le débat, pour les puristes, reste ouvert, et il vient
aussi s’inviter dans la programmation du Gstaad Menuhin Festival qui se joue
habilement de cette (épineuse) question pour repousser les vents
contrariants de ces derniers mois. Alors qu’il devait célébrer les 250 ans
de la naissance de Beethoven en 2020, édition finalement annulée face à la
pandémie de Covid 19, le Festival dirigé par Christoph Müller célèbre donc
ce même anniversaire en cette année 2022, relançant par là même le débat sur
l’année de naissance exacte de celui dont la mort en 1827 à Vienne est en
tout cas attestée. La capitale autrichienne sert d’ailleurs de thématique à
ce Festival qui fait la part belle aux compositeurs ayant laissé une trace
marquante lors de leur passage sur les bords du Danube : Strauss fils,
Lehar, Haydn, et bien évidemment Mozart…
Et puis il y a Beethoven,
donc, dont est ici présentée une version de concert de son unique opéra,
Fidelio. Une histoire où l’amour d’abord contrarié finit par triompher en
grande pompe sur des manières d’hymne à la joie, et dont Jonas Kaufmann est
annoncé comme la grande tête d’affiche. A ses côtés, et puisqu’il semblait
écrit que rien ne devait être simple jusqu’au bout pour la tenue de cette
édition “viennoise”, c’est d’abord Anja Kampe qui est annoncée, puis Simone
Schneider, avant que celle-ci, malade, ne soit finalement remplacée par
l’irlandaise Sinéad Campbell-Wallace. Et, déjà entendue dans ce même rôle en
mai dernier à Bruxelles (notre compte-rendu), la soprano se présente là
comme une grande révélation. Voix d’une brillance exquise, rondeur
d’émission, graves creusés et aigus rayonnants : tout concourt à parer cette
Leonora d’atours d’excellence. Tantôt femme habitée par un amour passionné
ici formidablement servi par un chant d’une ardente sonorité, tantôt
guerrière prête à affronter la mort pour sauver l’élu de son cœur, ce
Fidelio là a tout pour aimanter l’attention, égal d’intensité dramatique et
de musicalité dans chacune de ses interventions, dont le “Wo eilst du hin?”
empli d’une saisissante affliction et d’une délicieuse musicalité.
La performance en tous points remarquée en somme laisserait presque dans
l'ombre Florestan (alors qu'elle sort le personnage de prison), s'il ne
s'agissait pas de Jonas Kaufmann, bien présent et même en très bonne forme.
Son Florestan, l’un de ces nombreux rôles qu’il a tant contribué à magnifier
ces quinze dernières années, est de très bonne tenue, le ténor allemand
apparaissant dès son entrée au début de l’acte II comme habité par son
personnage. En une mimique, un souffle à peine esquissé, par ses manières si
spécifiques d‘attaquer ses phrases pianississimo pour les faire vivre
magnifiquement jusqu’à des aigus triomphants, l’artiste capte une attention
d’autant plus fascinée à l’écoute du “Gott! Welch dunkel hier” qui semble
être l’authentique expiration d’un homme au bord de la tombe. Mais de
dernier souffle, il n’est finalement point question pour un artiste ici
éclatant de vitalité, et qui trouve en sa Léonora du soir une complice dans
les duos interprétés avec une égale ardeur vocale.
Andreas Bauer
Kanabas est un solide et imposant Rocco, geôlier à qui la basse allemande
prête sa voix caverneuse à la noble et sonore émission, lustrée par une
diction particulièrement soignée. Le rôle est chanté avec toute la malice
propre à vanter les mérites d’une richesse bien plus matérielle que
sentimentale. En Don Pizarro, le toujours charismatique Falk Struckmann fait
briller son instrument aussi large d’étendue que charnu dans le timbre, en
parvenant avec une sonorité saisissante à restituer les élans de froide
colère qui traversent le personnage. Christina Landshamer porte elle une
vaillante Marzelline, oscillant notamment à l’acte I entre candeur et
accablement, restitués par sa voix fort agréablement timbrée et émise sur le
fil d’un soyeux vibrato. Bien plus furtivement, en Fernando et en Jaquino,
Matthias Winckhler et Patrick Grahl donnent à entendre des voix de belle
facture, le premier avec un outil de baryton-basse aux chaudes et
distinguées résonances, le second avec un ténor assuré et agréablement
timbré.
Dans cette version où les airs et ensembles instrumentaux
sont entrecoupés d’un récit et non des dialogues parlés attendus dans ce
Singspiel, le narrateur Peter Simonischek incarne Rocco au crépuscule de sa
vie, qui se remémore cette histoire d’amour entre Florestan et Leonora
l’ayant marqué pour toujours. De ce texte hautement poétique et
mélancolique, l’acteur allemand (connu pour avoir joué dans plusieurs séries
télévisées outre-Rhin) magnifie chaque mot, lustre chaque syllabe, par son
élocution d’orfèvre donnant au texte signé de l’auteur Walter Jens son juste
relief au gré des émotions et sentiments ici dépeints.
Enfin, sous
la baguette prestigieuse et ultradynamique du charismatique maestro Jaap van
Zweden (venu à nouveau diriger la Conducting Academy du Festival), le Gstaad
Festival Orchestra se montre globalement irréprochable, avec les justes
montées en tension sonore à mesure que les affaires de Florestan viennent à
se corser. Mais la libération finale est tout aussi jubilatoire, avec des
cordes d’une puissance dramatique du meilleur effet, et des cuivres bien
plus rutilants et assurés qu’au début de l’acte I. Le Chœur philarmonique
tchèque de Brno (préparé par Petr Fiala), d’une présence homogène, participe
largement à ce final où l’amour triomphe au même titre que les solistes du
soir, Jonas Kaufmann bien sûr, mais aussi (voire surtout) Sinéad
Campbell-Wallace dont Gstaad, c’est certain, attend déjà le retour avec
empressement.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|