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Olyrix, Le 01/10/2022 |
Par Vinda Sonata Miguna |
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Britten: Peter Grimes, Bayerische Staatsoper, ab 21.9.2022
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Jonas Kaufmann, pêcheur christique en Peter Grimes à Munich
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Jonas Kaufmann incarne Peter
Grimes de Benjamin Britten à l’Opéra d’État de Bavière aux côtés de Rachel
Willis-Sørensen (Ellen Orford) et Christopher Purves (Balstrode), avec Erik
Nielsen à la baguette, dans une nouvelle production signée Stefan Herheim
qui file une métaphore biblique, prophétique :
Le metteur en
scène Stefan Herheim présente dans le programme le pêcheur Peter Grimes
comme un "pêcheur d'hommes", expression biblique du disciple venant
convertir ses prochains. Il représente ainsi l'espoir d'une société unie
mais qui finalement ne se réunit que pour repousser et ostraciser le
pêcheur-pasteur. Les dynamiques corporelles sur le plateau traduisent ce
mouvement de rejet, de dispersion fuyant Peter Grimes dans cet espace
scénique restreint mais multifonctionnel. Les décors (de Silke Bauer) ont
pour armature centrale une construction de bois aux couleurs pâles et un
rideau bleu léger en arrière-plan. En fonction des épisodes dramatiques,
l’espace se transforme, par le biais des mouvements verticaux des plafonds,
en une salle de conférence dans la mairie, une église et le bar d’Auntie,
chaque phase de transformation scénique étant soutenue par l’éclairage de
Michael Bauer qui établit l’ambiance des différents espaces dramatiques.
Cependant, l’intention claire de la mise en scène induit des répétitions
constantes des dynamiques corporelles, finissant par susciter un certain
tædium (fatigue des choristes, et des spectateurs). En revanche, la
performance des chanteurs principaux maintient sa solidité même face à ce
mélange croissant de tension et de fatigue dramatique.
Jonas
Kaufmann campe donc Peter Grimes en Christ pêcheur d'hommes, vêtu d'une
salopette bleue et d'un ciré jaune, avec des bottes noires (avant de revenir
en blanc immaculé et pieds nus). Son jeu est pourtant réaliste, se méfiant
de son entourage et préférant ravaler ses souffrances intérieures jusqu’à
l'implosion tragique. L’interprétation du rôle, très humaine, ne surjoue
jamais le côté pathétique du personnage, mais assume tout de même sa
souffrance et son angoisse avec franchise. Le timbre a sa densité lyrique
caractéristique dans le médium, et son reflet métallique dans les montées.
Le registre bas, quant à lui, manifeste habilement le désespoir et les
moments de réflexion. Ses scènes solistes sont dramatiquement soulignées par
la focalisation, sur lui, et l’assombrissement, autour de lui, de
l’éclairage, offrant toujours le plaisir du chanteur (et du public) à
déployer des moments à la fois lyriques et dramatiques, réunissant le riche
éventail des capacités empathiques de cette voix et de ce jeu.
Rachel
Willis-Sørensen est une Ellen Orford terre-à-terre : la voix de la raison
dans cette société rongée par des préjugés. Le timbre se caractérise par un
équilibre agréable entre la transparence, la pureté et la force, qui se
laisse remarquer dans les tendres lyrismes et les exaltations les plus
ardentes. Comme Jonas Kaufmann, elle n’exagère jamais le pathétique du
personnage, et dirige son énergie dramatique plutôt en réaction face à
l’hypocrisie de la société. Le récitatif manifeste concrètement cette
indignation, démonstration solide d'un lyrisme riche et méditatif,
réunissant tendre lamentation et colère contenue. Le lyrisme vocal
communique également la mélancolie et le désespoir juste avant la mort de
Peter (personnage victime de la mentalité rigide de cette société).
Christopher Purves parvient à montrer l’humanité et la profondeur
psychologique du capitaine Balstrode en s’écartant de l’interprétation
typique de sa figure de "vieux marin endurci". Cette réussite tient
également à la finesse de son timbre : à la fois velouté, mais capable de
plonger dans de très sombres descentes. Le chant est naturel et intègre une
certaine liberté (jamais au prix du contrôle) : cette unité entre précision,
confiance et maîtrise, rehaussées par la forte présence scénique, en font un
élément primordial dans le triangle dramatique formé avec Peter et Ellen,
vocalement et dramatiquement.
Dans les rôles secondaires, Sean
Michael Plumb (Ned Keene) se fait remarquer grâce à sa liberté et sa
puissance vocales, qu’il emploie stratégiquement pour expliciter le côté
tantôt comique, tantôt pervers de son personnage. Jennifer Johnston (Mrs.
Sedley, allégorie de l’hypocrisie et de la mentalité rigide de la société)
recourt à la texture définie de son timbre pour manifester la psychologie du
personnage mécontent et frustré. Wolfgang Bankl (Swallow) ouvre le drame par
la texture très agréable de son timbre rond, chaleureux et régulier. Simeon
Esper (Rev. Horace Adams) se montre suffisamment charismatique et vocalement
poignant malgré ses brèves apparitions scéniques. Susan Bickley (Auntie,
contraste de Mrs. Sedley) interprète son personnage avec confiance et capte
à la fois le côté fougueux et maternel dans la voix comme dans les
comportements. Néanmoins, une plus grande puissance et plus de nuances dans
le chant seraient souhaitables, dans la mesure où elle se trouve parfois
reléguée en arrière-plan. Kevin Conners (Bob Boles) et Daniel Noyola
(Hobson), vifs et engagés dans les scènes animées de la collectivité,
forment une bonne synergie avec le chœur. Lindsay Ohse (première nièce) et
Sarah Gilford (deuxième nièce) ont des timbres complémentaires en termes
d’éclat et de transparence. Cet aspect est surtout mis en valeur pendant les
scènes enjouées et en contact avec le chœur. Quoiqu’il soit regrettable
qu’elles soient représentées par une image clichée des "femmes légères", le
contexte de la mise en scène leur donne un poids assez considérable pour
révéler par contraste l’égarement puis les velléités de la société. Le rôle
muet de John, nouvel apprenti de Peter Grimes est confié au comédien enfant
Levi Paul Schudel. Son innocence, sa naïveté et sa fragilité servent de
contrepoids à la société bornée d’esprit et aux manières endurcies et
frustes de Peter Grimes. Le chœur offre une performance remarquée en faisant
preuve d’un sens solide de l'unité, toujours mis au service des tensions
dramatiques.
La direction musicale d’Erik Nielsen communique la peur
du mystère et de l’inconnu au cœur de la musique, notamment en valorisant
les multiples facettes sonores des vents pendant les scènes de rêve,
d’hallucination et de hantise. Dans la masse sonore, les cordes assurent une
épine dorsale solide à laquelle s'ancrent les sombres nuances des cuivres,
captant pour leur part et concrètement le fond ténébreux du drame.
Les performances d'exception réalisées par Kaufmann, Willis-Sørensen et
Purves sont accueillies par le public avec un grand enthousiasme.
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