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Concert Classic |
FRANÇOIS LESUEUR |
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Wagner: Parsifal, Wiener Staatsoper, 18. April 2021 (Stream, Aufzeichnung vom 11. April 2021)
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PARSIFAL CHEZ LES MAFIEUX RUSSES
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En délicatesse avec le pouvoir en
Russie, l’ex directeur de théâtre, cinéaste (auteur de Leto) et metteur en
scène, Kirill Serebrennikov poursuit malgré tout son combat et son métier
d’artiste en réalisant à distance les spectacles que l’Europe veut bien lui
confier. Vienne vient ainsi de lui permettre de créer son premier Parsifal
(à la mise en scène duquel il a travaillé avec Evgeny Kulagin) et, comme
l’on pouvait s’y attendre, le choc procuré par sa lecture est violent. Le
Russe n’est pas le seul à avoir adapté et modernisé l’ultime chef-d’œuvre
wagnérien, mais sa vision concentrationnaire, d’une extrême actualité, a
rarement eu autant d’écho et d’impact avec notre société contemporaine.
Ainsi l’expérience qu’il nous propose de vivre, même si elle n’est pas
toujours immédiatement limpide, s'avère pourtant incarnée et plausible. Car
plus que jamais il va être question ici de cheminement (de connaissance de
soi et des autres) et de douleur, pour parvenir à la rédemption et au
miracle suprême. Dans cette conception très personnelle, les Chevaliers du
Graal, une sorte de mafia dont les prisonniers sont retenus dans les geôles
de Montsalvat, tous unis autour du « parrain » Amfortas, qui purge une
double peine, car en plus d’être retenu il est blessé et voudrait mourir.
Kundry, superbe photo-reporter qui travaille pour le compte d’un agent de
mannequins corrompu, réalise un reportage ce qui lui permet d’approcher ce
monde d’hommes secrets et dangereux. En parallèle, Parsifal, un éducateur au
grand cœur, qui se souvient avoir été lui aussi utilisé pour ses charmes et
sa candide beauté, travaille à la réinsertion des membres de cette
communauté en collaboration avec Gurnemanz, qui veille à faire régner
l’ordre.
Conscient de la mission qui lui est impartie, Parsifal
accompagne un jeune détenu, « héros » fraîchement arrêté, repéré par la
photographe qui voudrait en faire une vedette (rôle muet joué avec beaucoup
de justesse par le comédien Nikolay Sidorenko). Au second acte le château
magique de Klingsor est un confortable bureau de l’agence Schloss (château
en allemand) où le directeur, entouré d’une myriade d’assistantes, prépare
une séance photos avec le jeune inconnu découvert en prison. L’agence est en
émoi quand ce dernier pose en cuir devant une croix, mais tout se complique
lorsque Kundry passe à l’initiation sexuelle du jeune homme, sous les yeux
révoltés de Parsifal qui ne supporte pas de revivre son passé. Kundry
excédée par le retour inopiné de son patron qu’elle exècre, se retourne vers
lui et le tue. Le dernier acte marque le retour à la prison de Montsalvat où
Kundry, à son tour emprisonnée (en raison de son crime), s’occupe en
fabriquant des crucifix en bois. Parsifal est également présent exténué par
un long périple ; c’est le jour du Vendredi saint et Gurnemanz, heureux de
le retrouver en ces lieux, le consacre, pour avoir accompli et partagé ses
souffrances. L’apprenti mannequin apparait et retrouve Kundry en l’enlaçant
sous les yeux, émus cette fois, de Parsifal. Les chevaliers du Graal se
recueillent autour d’Amfortas qui demande à mourir en répandant les cendres
de son père Titurel, récemment décédé. La lance rapportée par Parsifal lui
permet de guérir miraculeusement Amfortas ; à ce moment le jeune Parsifal
ouvre une à une les portes des cellules et libère les détenus qui quittent
Montsalvat en ce jour exceptionnel de rédemption.
Les très réalistes
décors éclairés avec méticulosité, les costumes et les superbes photos et
vidéos (sous forme de triptyque situé au-dessus du cadre de scène) qui
accompagnent cette longue et noire fresque, permettent au spectateur de
s’immiscer dans ce monde retranché et d’en étudier les codes. Tatoués sur
tout le corps, chaque chevalier possède ainsi la clé de cette confrérie aux
pratiques étranges basée sur la violence, l’honneur et la fraternité. Si la
présence du double de Parsifal (le comédien Nikolay Sidorenko, photo à g.)
n’est pas toujours immédiatement évidente, elle éclaire cependant certains
comportements et symbolise la pureté du « Chaste fol » face à l’hostilité
extérieure, traduite par une saisissante direction d’acteur, autre point
fort de cette mise en scène coup de poing.
Visiblement convaincu par
la proposition de Serebrennikov, Jonas Kaufmann (photo à dr. ) joue avec
beaucoup de conviction ce rôle d’éducateur-protecteur et de sauveur d’une
communauté qui court à sa perte. Dans une condition vocale sensationnelle,
le ténor n’a aucun mal à faire vivre son personnage dont la tessiture lui
convient toujours malgré les années. Puissant, délicat, tout en nuances et
chanté sans le moindre effort apparent, ce nouveau portait de Parsifal vient
s’ajouter à une liste prestigieuse qui ne rétrécit pas avec le temps. La
Kundry glamour et lascive d’Elina Garanča est sans doute la première d’une
longue série, car la mezzo lettone se glisse non seulement sans difficulté
dans les plis de son héroïne, d’une voix large au riche ambitus, à l’aigu
brillant et au grave déployé, mais se plait à l’interpréter avec un talent
que nous ne lui connaissions pas. Inspirée, surprenante et passionnante,
elle a tout pour succéder à la plus accomplie des Kundry, celle de Waltraud
Meier. Georg Zeppenfeld, à qui revient l’insigne honneur de tatouer les
prisonniers, prête son timbre racé et sa forte personnalité à Gurnemanz ; à
Wolfgang Koch revenant le rôle de Klingsor dont il ne fait qu’une bouchée et
à Stefan Cerny celui de Titurel. Très attendu en Amfortas, une prise de rôle
qui arrive au bon moment, Ludovic Tézier est admirable dans ce personnage
dont il possède le verbe, la ligne et l’envergure vocale, promenant sa
lancinante douleur et ce désespoir abyssal avec la plus haute sincérité.
Engoncé dans son habit, le cou serré, le visage fermé malgré de belles mains
expressives, Philippe Jordan n’emporte pas l’adhésion en privilégiant la
lenteur sans pour autant animer d’une véritable flamme intérieure cette
immense partition, aux allures de requiem. La qualité sonore de l’orchestre
viennois est indéniable mais on a connu des directions plus envoûtantes,
seul bémol à cette nouvelle production parfaitement mise en images par le
réalisateur Michael Beyer.
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