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Avant Scène Opéra |
Pierre Flinois |
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Verdi: Aida, Paris, Opera Bastille, 18. Februar 2021
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AIDA
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Après une année de fermeture Covid, le
départ anticipé de Stéphane Lissner pour des cieux lyriques moins exposés
peut-être mais tout aussi empêchés, l’arrivée précipitée en septembre de son
successeur, Alexander Neef, qui tente depuis de gérer ce qui peut être sauvé
d’une programmation lyrique qui n’est en rien la sienne - avec, premier acte
heureux, la majesté d’un Ring en concert, confiné mais retransmis sur France
Musique, d’une très haute tenue, et la captation d’une Flûte enchantée en
scène, sans public elle aussi - voici donc la première nouvelle production
de la Grande Boutique, comme l‘appelait Verdi, qui rejoint ainsi de façon
emblématique Wagner et Mozart au firmament des fondamentaux maison, avant le
retour de Gounod avec son Faust en mars… si tout va bien.
Voulue par
Stéphane Lissner pour ce qui devait être sa dernière année de direction et
véritable cadeau empoisonné à son successeur, cette Aida laissera donc un
souvenir partagé à ceux qui ont pu, d’un premier balcon distancié, suivre la
représentation en direct.
Lotte de Beer annonçait « vouloir porter un
regard critique sur la représentation européenne des peuples colonisés nous
incitant à repenser notre rapport aux productions esthétiques du passé et du
présent », louable intention parfaitement en phase - est-ce un hasard ? -
avec le manifeste « De la question raciale à l’Opéra de Paris » diffusé
l’été dernier, et du « Rapport sur la diversité à l’Opéra national de Paris
» publié par sa direction en janvier. Questions qui existent, certes, et pas
seulement à Paris, sur des problématiques anciennes dont le blackface, et
qui voudraient qu’aujourd’hui, en réaction, Otello ne soit plus Maure si le
chanteur est blanc, Monostatos plus jamais noir, Aida et son père pas plus
colorés que leurs ennemis égyptiens...
Le problème, c’est qu’on n’a
rien vu de ce propos annoncé sur scène, où on nous a refait le coup du
musée, fréquent jusqu’à l’overdose dans les productions d‘Aida depuis 20
ans, - comme de Jules César et de tout ce qui touche à l’Antiquité
classique… ou même du Trouvère de Salzbourg pour rester chez Verdi. Donc,
ouverture avec la momie d’Aida dans sa vitrine, et autres antiquités
visitées au temple de Ptah par un XIXe siècle en redingotes et tournures, où
ce bon peuple européen responsable de toutes les indignités de la
colonisation – comme les Égyptiens anciens, qui exploitèrent la Nubie 2000
ans durant - s’extasie sur un char de Toutânkhamon découvert en 1922, et
trouve normal qu’un figurant porte le casque bleu réservé au Pharaon. Quand
on ne sait rien sur un sujet, on prend conseil, sinon on tombe dans ce grand
guignol même qu’on croit dénoncer ! Mais ce n’est rien par rapport à un
Triomphe encombré de scènes animées, qui nous renvoient à Bonaparte au pont
d’Arcole, à La Liberté guidant le peuple, ou à la troupe de GI reprenant
pied à Okinawa, qui vous tuent la musique des ballets plus sûrement qu’une
piètre chorégraphie - autrement difficile, on en convient, à réussir comme à
justifier, que ces scènes qui se veulent historico-humoristiques et restent
d’une pauvreté affligeante ! Pire, voici la grande idée, avec ce grand benêt
de Radamès tombant amoureux d’une momie : son fantasme animera ce reste
humain - par la grâce de manipulateurs d’exception - pour dénoncer, n’en
doutons pas, le fait qu’on n’hésitait pas à offrir au regard du visiteur du
Musée du Caire les corps quasi dénudés des pharaons sans s’inquiéter de leur
repos éternel, dès la fin du XIXe siècle. Facile à comprendre, mais pas à
placer dans une dramaturgie cohérente d’Aida. Le visuel enfilera donc ennui,
tant la direction d’acteurs ne passe pas la rampe, gestion des chœurs sans
idée, laideur des panneaux mobiles, avec ces tapisseries murales à motifs
baroques chères aux décors d’intérieurs XIXe, pauvreté insigne des
éclairages. Le tout reléguant les interprètes (magnifiques) de l’héroïne et
de son père, tout aussi momifié mais ayant perdu bassin et jambes – eh oui,
les momies, même royales, ne sont pas toujours intactes - à la fonction de
traducteurs de langue des signes en coin d’écran. De là à faire en sorte que
le théâtre marche, et qu’avec lui surgisse l’émotion, le fossé restera béant
jusqu’à l’extase musicale finale.
Il faut alors fêter ces
interprètes, à commencer par Sondra Radvanovsky, déjà Aida pour Olivier Py à
la reprise de 2016, qui rate seulement le diminuendo final de l’Air du Nil,
(ce qui sera peut-être corrigé au montage pour la diffusion télévisée avec
la prise de sécurité effectuée le lundi précédent), mais accompagne d’aigus
en demi-teintes subjuguants, de notes délicatement filées, mais aussi d’une
puissance sonore impériale, un investissement dramatique pratiquement réduit
à la seule expression vocale. Avec Radamès, Jonas Kaufmann retrouve ici les
limites vocales sensibles dans son Otello : l’âge venant, son instrument
peine à exprimer les forte de la partition sans que le timbre ne se grise à
l’excès. Mais lui aussi cultive un art de la nuance inspirée, de la
demi-teinte renversante, de la couleur aux multiples résonances poétiques,
qui en font un partenaire idéal pour son Aida. Ludovic Tézier, plus effacé
encore par la mise en scène et la brièveté du rôle d’Amonasro, n’a aucune
peine à faire entendre la splendeur de son chant, même si la violence des
accents de la confrontation à sa fille ne le montre pas à son absolu
rayonnement. Si le Roi sonore de Soloman Howard est de haut niveau, on est
moins séduit par l’Amnéris de Ksenia Dudnikova, tout en force et en excès,
et par le Ramfis de Dmitry Belosselskiy, au timbre manquant de couleurs et
en mal d’appui.
Quant à Michele Mariotti, il joue - parfois un peu
fort - des subtilités de la partition dont l’orchestre se repaît, d’une
baguette emportée, nerveuse, parfois même un rien excessive. Péchés véniels
qui n’entament guère une proposition globale qui fait honneur à l’Opéra,
chœurs compris, et permet à l’oreille de consoler pleinement l’œil dévasté.
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