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ResMusica, le 19 février 2021 |
par Patrice Imbaud |
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Verdi: Aida, Paris, Opera Bastille, 18. Februar 2021
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Aida de Verdi à l’Opéra de Paris ou la fausse bonne idée de Lotte de Beer
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Cette nouvelle production de Aida de
Verdi, qui signe les débuts discutables à Paris de Lotte de Beer comme
metteuse en scène, séduit surtout par sa distribution vocale.
Résultat d’une commande d’Ismaïl Pacha, khédive d’Égypte, afin de fêter
l’ouverture récente du Canal de Suez, Aida fut créé en 1871 dans le nouvel
opéra du Caire ; une œuvre qui reprend le mythe de l’héroïne sacrificielle,
incarnation d’un conflit entre passion et devoir patriotique, dans un
contexte historique opposant l’Égypte à l’Ethiopie où il n’est pas besoin
d’être grand clerc pour reconnaitre en filigrane l’Autriche et l’Italie. Une
lutte qui ne trouvera son issue que dans la mort des deux héros : Aida
l’éthiopienne et Radames l’égyptien. Avec cet opéra Giuseppe Verdi réussit
la difficile synthèse entre l’intime et la grande fresque historique, entre
l’opéra romantique italien et le grand opéra français.
Envisager Aida
sous l’angle de la décolonisation et de ses conséquences
politico-esthétiques comme l’annonçait Lotte de Beer dans une récente
interview, voilà qui a du sens… mais réduire le propos à une simple
transposition dans un musée d’où émerge une Aida statufiée, voilà qui est un
peu court ! Face à la culpabilité croissante de l’Europe vis-à-vis des pays
colonisés et leur pillage culturel subséquent, et en s’inspirant de
l’actualité brûlante autour du thème de la diversité, on s’attendait à une
lecture autrement engagée, s’attachant à mettre au jour les douloureux
rapports entre art et politique. Lotte de Beer n’a fait, hélas, que la
moitié du chemin, évitant avec une certaine finesse la question du «
blackface » puisqu’utilisant une marionnette noire en lieu et place de
l’héroïne éthiopienne, et gommant tous les stigmates historiques, ainsi que
les ballets rappelant le grand opéra français, remplacés au I par un
cocktail mondain et au II par une succession de tableaux animés, souvent
humoristiques et du plus bel effet : des manquements assez maladroits nous
amenant à regretter amèrement la diatribe politique acerbe et cinglante que
nous avait servie Olivier Py en 2013, puis 2016, d’une tout autre éloquence.
Certes la scénographie est par instant séduisante, voire humoristique, mais
elle va rapidement se décanter pour devenir inexistante au IV, les
éclairages sont assez réussis, tout comme les costumes, mais les
marionnettes de Virginia Chihota sont malheureusement hideuses et les face à
face de Radames avec sa statue-amoureuse manquent singulièrement d’émotion
et de crédibilité. Seule la joute entre les deux marionnettes (Aida et
Amonasro) au III emporte l’adhésion par sa théâtralité et la maitrise
technique des marionnettistes.
Faisons donc contre mauvaise fortune
bon cœur, car ce que la mise en scène nous refuse, la musique nous l’apporte
généreusement avec un orchestre de l’Opéra de Paris haut en couleurs
(notamment les superbes vents) sous la baguette très affutée de Michele
Mariotti, associé à une distribution vocale d’exception.
Depuis sa
prise de rôle en 2016, Sondra Radvanovsky est devenue une Aida
incontournable, malheureusement réduite, dans cette mise en scène la privant
de toute composante scénique, à un rôle de doublure ! Convaincante de bout
en bout par sa seule voix : l’ambitus est large même si quelques graves sont
parfois étouffés, le médium charnu et coloré, les aigus infiniment variés et
chargés d’émotion dans le piano, le souffle long et le legato sublime dans
un splendide « O patria mia ». Face à elle, Jonas Kaufmann en Radames
déploie ses talents d’acteur et des aigus lumineux, vaillants et
parfaitement ouverts, dans un chant très polymorphe passant de la noblesse
(« O celeste Aida ») à la hargne ou à la résignation du duo final. Ksenia
Dudnikova campe, quant à elle, une impressionnante Amnéris, à la fois
amoureuse et guerrière, remarquable vocalement dans tous les registres : le
timbre est magnifique, la ligne souple sans vibrato, le mezzo sans limites.
Ludovic Tézier en Amonasro est irréprochable dans un émouvant : « Ma tu, Rè
». Le Ramfis de Dmitry Belosselskiy et le roi de Soloman Howard assurent un
soutien exemplaire dans tous les nombreux ensembles. Le Chœur magnifique de
l’Opéra de Paris achève de compléter ce casting de haute volée.
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