Les Echos, 19 févr. 2021
Par Philippe Venturini
 
Verdi: Aida, Paris, Opera Bastille, 18. Februar 2021
 
A la Bastille, « Aida » décolonisé ne décolle pas
Dans une salle hélas toujours vide, la metteuse en scène Lotte de Beer propose une relecture politique du célèbre opéra de Verdi. Si le spectacle reste confus et sans vie, la distribution se montre splendide. A voir sur Arte, Arte.tv et à écouter sur France Musique.

Enfin une nouvelle production à l'Opéra national de Paris ! Alors que le « Ring » de Wagner avait dû renoncer à toute mise en scène, en novembre et décembre dernier, « Aida » a droit à un spectacle complet. Ne manque que le public dans cet immense vaisseau, dont le premier niveau est investi par les caméras : captation et diffusion en direct sur Arte.tv jeudi 18 février, puis en différé sur Arte le 21 et le 27 sur France Musique.

Commandé pour l'inauguration du Canal de Suez et créé à l'opéra du Caire en 1871, « Aida » s'inscrit dans un contexte politique que l'on ne peut ignorer, même si ces amours antiques contrariées par la guerre entre l'Egypte et l'Ethiopie n'a trop souvent suggéré que de poussifs péplums. Lotte de Beer a choisi de s'intéresser à l'histoire « de cet opéra », relue avec « la pensée de l'Europe sur son passé colonial ». L'idée peut ouvrir de nouvelles perspectives mais il y a fort à parier que des dizaines de titres lyriques racontent « le nationalisme et la guerre, […] l'individu et la société, […] deux cultures qui s'affrontent » et pas seulement « Aida ».

Marionnettes grises
Si la metteuse en scène néerlandaise oublie les pyramides et autres temples, elle adopte des costumes d'époque, celle de Verdi, celle d'un occident qui se considère seul référent et voit la terre comme son terrain de jeu. Les Egyptiens sont donc vêtus à l'européenne tandis que les Ethiopiens, Aida et son père Amonasro, cèdent la place à des marionnettes grises de taille humaine, c'est-à-dire assimilés des objets que l'on peut ranger dans une vitrine.

L'équation d'Aimé Césaire « colonisation = chosification » vient bien sûr à l'esprit. Mais sa résolution scénique plombe terriblement le spectacle, les deux chanteurs étant réduits à de la figuration aux côtés des marionnettistes. Les relations entre les personnages, celles qui assurent la tension et l'évolution drame, disparaissent derrière le discours. Le théâtre devient tribune mais sonne faux.

Justesse des chanteurs
Les chanteurs, eux, sonnent admirablement juste et font tout le prix de cette soirée. L'affiche est certes prometteuse. Jonas Kaufmann négocie parfaitement les aigus du rôle de l'officier égyptien Radamès, sait comment galber sa voix de ténor, façonner des phrasés toujours expressifs, élégants et de pure émotion comme dans le duo final avec Aida, l'esclave éthiopienne dont il est épris et avec qui il meurt. Ladite Aida aura saisi plus d'un spectateur, par l'interprétation brûlante de la soprano canadienne Sondra Radvanovsky qui laisse devenir une fêlure derrière la vaillance.

Elle doit affronter la jalousie d'Amneris, fille du roi d'Egypte, solidement campée par la mezzo-soprano ouzbèke Ksenia Dudnikova. Bref mais essentiel, le rôle d'Amonasro permet à Ludovic Tézier de rappeler, si besoin était, quel prodigieux baryton il demeure (un récital Verdi, superbe, vient opportunément de paraître chez Sony). Dans cet opéra difficile à tenir car sans cesse ballotté entre le grandiose pompier et l'intime, le chef Michele Mariotti manque sans doute un peu d'autorité, mais il profite d'un Orchestre et des Choeurs de l'Opéra national de Paris parvenus à des sommets pyramidaux.











 
 
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