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Diapason, 19 fév 2021 |
Par Emmanuel Dupuy |
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Verdi: Aida, Paris, Opera Bastille, 18. Februar 2021
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A l'Opéra de Paris, Aida entre au musée
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On pourra voir sur Arte cette nouvelle
production mise en scène par Lotte de Beer et dirigée par Michele Mariotti,
avec Sondra Radvanovsky et Jonas Kaufmann dans les rôles principaux.
La pensée décolonialiste a fait une nouvelle victime : Aida, c'était fatal.
Pour Lotte de Beer, le chef-d'œuvre de Verdi ne raconte plus un antique
conflit entre Egyptiens et Ethiopiens, mais entre l'Europe du XIXe siècle et
ses colonies. La mauvaise conscience de l'homme blanc (en l'occurrence de la
femme blanche) empêche dès lors la metteure en scène de représenter une
princesse africaine réduite en esclavage par l'Occident, tout comme son
père. Aida et Amonasro ne seront donc pas des êtres de chair et de sang,
mais des pantins qu'a conçus la plasticienne zimbabwéenne Virginia Chihota.
Manipulés par une brigade de marionnettistes, ces poupées effigies sont
suivies à la trace par les chanteurs qui s'en trouvent réduits à leur
dispenser une bande-son. Ni Sondra Radvanovsky ni Ludovic Tézier ne peuvent
dans ces conditions accomplir une véritable incarnation : dommage, quand on
a des artistes d'une telle trempe sous la main.
Elle, n'a pas
fondamentalement ce qu'on appelle une belle voix ; mais ce sont justement
ses fêlures aux reflets callassiens qui nous bouleversent, tout comme un
chant à la plasticité sidérante, dont les variations de couleurs et
d'intensité épousent dans les moindres soupirs les mouvements de l'âme et de
la musique. Lui, au risque de nous répéter, confirme qu'il est aujourd'hui
sans rival parmi les barytons Verdi. Oui, mais voilà, ils ne sont ni Aida ni
Amonasro, puisqu'on les en empêche, il les chantent divinement comme ils
l'auraient fait pour une version de concert.
Pièce de musée
Lotte de Beer voit en réalité Aida comme une pièce de musée. C'est
d'ailleurs là, dans un musée d'antiquités, qu'elle situe la plupart des
scènes - ce qui rappellera au spectateur de l'Opéra de Paris certain Jules
César de Handel selon Laurent Pelly. Le triomphe devient une succession de
tableaux vivants reproduisant quelques chefs-d'œuvre de l'art occidental, du
portrait équestre de Napoléon par David à La Liberté guidant le peuple de
Delacroix, en passant par une célèbre photographie prise au Japon à la fin
de la Seconde Guerre mondiale (Raising the Flag on Iwo Jima). Puisqu'Aida
est elle-même un objet d'art, sa relation avec les autres protagonistes se
dissout en un vague fantasme, d'autant plus dépourvu d'affects et d'émotions
que la direction d'acteurs ne dépasse guère le niveau d'une sage convention.
Débarrasser l'œuvre de sa quincaillerie antiquisante : soit. La délester de
la démesure propre au grand opéra : admettons. Mais la priver des ses
antagonismes, de ses passions, de son expressionnisme foncier ? Il ne reste
plus qu'un squelette d'opéra, desséché et terriblement frustrant.
Jonas Kaufmann, Radamès anthologique Bien que l'aigu
commence à grisonner un peu, Jonas Kaufmann demeure un Radamès anthologique,
par le pouvoir érotique inaltéré du timbre, la beauté du phrasé et l'art des
demi-teintes. Ksenia Dudnikova n'a pas l'opulence du grave dont
s'enorgueillissent les illustres Amneris, mais la voix est saine, la ligne
châtiée, le style sans reproche. Si Dmitry Belosselskiy campe un Ramfis
sonore et un peu brut de décoffrage, le Roi de Soloman Howard brille au
contraire par une vigueur et une noblesse irrésistibles.
Dans la
fosse, l'effectif orchestral a été légèrement réduit, en raison des
circonstances. Est-ce pour cela que la direction musicale de Michele
Mariotti nous semble par instant manquer de souffle et de puissance ? Les
masques que portent les choristes ne facilitent guère non plus la
projection. Mais le chef soigne les équilibres et la précision du détail
instrumental, allège l'orchestration de ce qu'elle peut avoir de clinquant
sous d'autres baguettes. Dans cette lecture rien moins que chauffée à blanc,
mais qui ne néglige pas la poésie, se perçoit aussi une forme de
distanciation - qui n'est pas que physique. Il est vrai qu'en l'absence de
véritable public, nous ne sommes pas dans des circonstances normales : les
reprises diront comment cette Aida survivra à la crise sanitaire.
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