Le Temps, 3 juillet 2020
Sylvie Bonier
 
Schubert: Die schöne Müllerin, Genève, 2. Juli 2020
 
Jonas Kaufmann l’inespéré clôt la saison du Grand Théâtre
La star des ténors a conclu l’année lyrique genevoise avec classe malgré une légère fragilité vocale

Il est venu, il a chanté, il a conquis. En réapparaissant à Genève de façon inopinée après six ans d’absence, Jonas Kaufmann a mis le public du Grand Théâtre debout. Une grande heure schubertienne par le ténorissime: l’ultime rendez-vous de l’année a presque fait oublier les interminables mois de silence musical.

Le directeur de l’Opéra a fait une belle surprise à son public. En invitant le célèbre chanteur pour clore sa première saison amputée par le coronavirus, Aviel Cahn a enchanté les 800 spectateurs ayant pu revenir dans la salle, masqués ou non, mais éloignés aux distances réglementaires.

Fascination

La cinquantaine arrivée, après des problèmes aux cordes vocales qui l’ont écarté plusieurs mois des scènes internationales, Jonas Kaufmann n’a rien perdu de la fascination qu’il exerce sur ses fans. Son secret? Une voix d’or, un art exceptionnel du beau et grand chant, un physique de gravure de mode et un talent d’acteur remarquable. Sans compter un caractère sympathique…

Avec au programme le cycle de lieder La Belle Meunière de Schubert, le Munichois a plongé dans l’intimité du récital en compagnie de son accompagnateur d’élection Helmut Deutsch. Une complicité artistique sans faille pour une des œuvres les plus exigeantes et personnelles qui soient.

Le romantisme est son monde et l’allemand, sa culture. Schubert lui convient donc naturellement, dans l’exercice de la solitude vocale. Même si le grand répertoire scénique le révèle à son meilleur, par sa puissance de projection, son intensité expressive et son incroyable ductilité de voix, le chanteur manie habilement l’art de la suggestion.
Un chant mûri

Moins d’insolence dans la facilité technique, plus de subtilité dans le soin porté au détail et surtout une humanité arrondie par les années: l’éclat du timbre fait aujourd’hui place à un chant mûri.

Dès les premières mesures de Das Wandern, on comprend que la patine lustrera les 20 poèmes de Wilhelm Müller. Le timbre velouté se voile dans les nuances adoucies et les aigus se décolorent légèrement quand l’expression se veut plus délicate. On ne peut pourtant rêver conteur plus inspiré, diction plus pure et incarnation plus vivante du voyageur amoureux, déçu puis désespéré.

Progressivement, le ton se resserre. Après un Wohin? sérieux et un Danksagung an der Bach fragile, le feu prend dans Am Feierabend, la voix se déploie et s’attendrit dans Der Neugierige, avec ces lignes de fuite et ces suspensions rêveuses si impalpables dont Jonas Kaufmann est le grand spécialiste (O Bächlein meiner Liebe…).

Puis on retrouve la ferveur (Ungeduld), la séduction (Morgengruss) et l’éclat royal au fur et à mesure de la montée des tensions (Der Jäger, Eifersucht und Stolz) jusqu’à l’abattement et le drame des derniers poèmes que le chanteur empoigne avec l’ardeur du désespoir. Une traversée poignante de la vie même, ponctuée par Der Jüngling an der Quelle extrait de Die schöne Müllerin, avant Der Musensohn D.764 pour rester dans l’esprit du grand Franz en bis.











 
 
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