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Forum Opera |
Par Christophe Rizoud |
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Giordano: Andrea Chenier, Gran Teatre del Liceu, Barcelona, 15. März 2018 |
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Jonas Kaufmann, sinon rien
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Première des raisons données par le
Liceu sur son site Web pour courir applaudir Andrea Chénier, le chef d’œuvre
d’Umberto Giordano actuellement à l’affiche : la présence de Jonas Kaufmann.
Le ténor bavarois fait ses débuts scéniques à Barcelone. Trois
représentations seulement. Les médias locaux s’enflamment. La première, le 9
mars, est un triomphe. De tristes circonstances ternissent la deuxième. Les
langues vont bon train. La troisième en devient électrique. Dans un opéra où
le ténor est roi, où le public attend chacun de ses airs – un par acte –
comme Néron dans l’arène le massacre des chrétiens, Jonas Kaufmann n’a pas
droit à l’erreur. S’il lui faut ménager ses forces pour venir à bout d’une
partition qui ne lui laisse pas de répit, la prudence n’est pas de mise, de
l’Improvviso empoigné avec plus de fougue qu’à Paris l’an passé jusqu’au duo
final chanté à pleins poumons. La voix, égale, a retrouvé une lumière que
l’on croyait éteinte. Les sons sont moins couverts. Baryton honteux, ainsi
qu’aiment à le dire ses détracteurs ? Non, ténor dont la fragilité rend
lointaine la parenté souvent soulignée avec Corelli. Moins crâne, moins
intrépide mais également libre d’assumer chaque note, sans à-coups ou
presque, sans que l’on ne sente jamais le passage de registre, même si la
nuance se fait moins fréquente et parfois hasardeuse (les attaques piani du
duo de l’acte II). Le rôle, que les costumes de Jenny Tiramini rapprochent
du Werther iconique de Benoit Jacquot, romantique en diable, est un de ceux
qui convient le mieux à une personnalité vocale emprisonnée dans son propre
succès. Puis, alors que l’on déplore l’absence des titans d’autrefois
capables d’envisager ce répertoire comme une promenade de santé, qui
aujourd’hui dit mieux ?
Tout cependant dans une représentation
d’opéra est relatif. Jonas Kaufmann, en Chénier doit lutter contre un rôle
exigeant, que d’autres avant lui ont rendu mythique et affronter une
réputation qui le veut premier dans sa catégorie. Il lui faut aussi se
mesurer à des partenaires que l’œuvre transforme en lutteurs. Appelé à
remplacer Carlos Alvarez, Michael Chioldi passe de la deuxième division à la
première sans démériter mais sans non plus faire d’éclat. Intimidé et
sympathique à force de timidité, Gérard ne laisse jamais deviner le Scarpia
qui sommeille en lui. La voix saine, l’aigu assuré, le grave plus
confidentiel, il est baryton normal depuis que de nouvelles élections en
France ont rendu à l’adjectif son sens propre.
Sondra Radvanovsky,
elle, ne se chauffe pas du même bois. Elle est soprano au zénith de ses
moyens et comme tout astre à son zénith, elle éblouit. Plusieurs minutes
d’applaudissements consacrent une « Mamma morta » assumée dans chacun de ses
extrêmes et chacune de ses intentions. Il faut à la chanteuse insister d’un
geste répété des deux mains pour faire cesser la clameur et que la
représentation reprenne. Le bis bruyamment demandé n’aura pas lieu mais ce
qu’auparavant la puissance supérieure de la voix avait affirmé alors se
confirme. Gérard écarté, Chénier à son tour devra plier. A chacun cependant
sa Maddalena. S’il faut saluer le sans-faute, la présence et la technique ne
peuvent seules suppléer aux couleurs d’une voix que certains – dont nous
sommes – trouvent âcres.
Excepté Roucher par Fernando Radó, les
seconds rôles voudraient plus de caractère. On a connu Bersi (Yulia
Mennibaeva) plus sensuelle, Comtesse de Coigny (Sandra Ferrández) plus
duègne, Pietro Fléville (Toni Marsol) plus vil et nuisible. Le nom d’Anna
Tomowa-Sintow en Madelon, vivement applaudie au tomber de rideau, est
anecdotique.
Confronté à une partition qu’il est d’usage de
déprécier, Pinchas Steinberg s’emploie à chasser les idées reçues. Soucieuse
d’équilibre entre fosse et plateau – comme tout bon chef d’orchestre à
l’opéra –, sa direction recherche le détail et évite les effets qui font
taxer cette musique d’indigence et de vulgarité. Bien sûr, on apprécie la
démarche, tant il faut mettre fin à des préjugés vecteurs de jugements aussi
faux que définitifs. Mais il est bon aussi, dans ce répertoire, de temps à
autre, de lâcher la gomme pour que Margot puisse pleurer.
Reste la
production, créée à Londres en 2015 avec déjà Jonas Kaufmann et popularisée
par le DVD. Arrimé à une réalité historique, Andrea Chénier n’est pas de ces
opéras que l’on peut transposer. David McVicar colle au livret d’aussi près
que possible en offrant à chaque acte un décor luxueux conforme à l’image
que l’on s’en fait. Le chœur, peu sollicité mais incorruptible, se mêle
naturellement à l’action. Les salons de la Comtesse de Coigny brillent de
mille feux, l’effigie de Marat projette son ombre sinistre sur le 2e acte et
la prison de Chénier est fermée de hautes grilles infranchissables. « Même
Platon a banni les poètes de sa république » : inscrite sur un rideau
ensanglanté, tiré entre chaque acte comme un couperet de guillotine, la
phrase de Robespierre rend encore plus révoltante toute référence actuelle
par certains de nos politiques révisionnistes à celui dont le nom reste
associé au mot « terreur ».
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