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Opera Online, 12 mars 2018 |
traduction libre de la chronique de Xavier Pujol |
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Giordano: Andrea Chenier, Gran Teatre del Liceu, Barcelona, 9. März 2018
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Andrea Chénier au Liceu : une soirée parfaite
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L’opéra constitue sans doute la forme
d’expression artistique pluridisciplinaire la plus complexe du monde
occidental, où tous les arts scéniques et musicaux sont représentés. Fort de
ce postulat, il est de fait aussi ardu de rater complètement une
représentation opératique que d’accéder à l’absolue perfection. C’est
pourtant ce deuxième miracle qui est arrivé (ou presque) au Liceu à la
première d’Andréa Chénier, l’un des titres fondateurs du vérisme, qui
n’avait pas été monté sur cette scène depuis dix ans.
Tout débute
avec douceur. Jonas Kaufmann, qu’on ne présente plus, avait déjà chanté au
Liceu, mais jamais dans des opéras en version scénique, et était attendu au
tournant pour incarner un rôle qui correspond en tous points à ses
caractéristiques vocales : aigus ronds et stupéfiants, medium et graves
charnus et robustes, dans une superbe projection. Kaufmann ne déçoit pas :
dès le célèbre improvviso “Un dì all’azzurro spazio”, il gagne le cœur du
public grâce à une voix splendide et une émotion intacte à celle de la
création de la production, en 2015 à Covent Garden. Il parvient également à
parsemer cette partition, chantée trop souvent en force, d’exquises nuances.
Dans le duo “Ora soave”, il s’expose en douce mezza voce, intime et légère,
pleinement séduisante, faisant de lui un André Chénier idéal.
Sondra
Radvanovsky, très appréciée au Liceu, incarne pour la première fois de sa
carrière le rôle de Madeleine de Coigny. Ce ne sera pas la dernière. Elle
s’avère être aussi la Madeleine rêvée dans tous les aspects musicaux et
dramatiques. À la fin de “La mamma morta”, un tonnerre d’applaudissements
retentit dans le Théâtre. La soprane, au milieu de la scène, en est si émue
qu’elle laisse échapper une (pas si) furtiva lacrima et le public, toujours
sensible à cette effusion d’émotion, applaudit avec encore plus de ferveur.
Il reste une troisième composante déterminante : Charles Gérard, le
personnage dont l’ambivalence fait de lui le rouage le plus dense et
complexe de l’œuvre – et sans doute le seul, finalement. Le pari était gagné
d’avance, Carlos Álvarez étant depuis des années le meilleur Gérard que l’on
puisse trouver. Il livre ici une sublime interprétation, sans doute sous
l’impulsion de la splendeur vocale de ses collègues. Son “Nemico della
patria” lui vaut une ovation d’un public déjà bien prédisposé.
Pour
compléter la soirée, il faut saluer l’excellence des personnages
secondaires, et notamment de la vieille Madelon d’Anna Tomowa-Sintow qui, à
l’âge de soixante-seize ans, a pu restituer ce petit rôle avec une grande
dignité. Le public n’a pas manqué de lui montrer sa gratitude avec
enthousiasme à la fin de la représentation.
Même si le chœur ne
compte pas beaucoup de morceaux de bravoure dans Andrea Chénier, le travail
considérable à accomplir a été extrêmement bien exécuté. La performance de
l’orchestre, sous la baguette de Pinchas Steinberg, spécialiste du titre qui
avait déjà dirigé les dernières représentations en date au Lieu il y a dix
ans, se révèle d'une égale qualité.
La production, initialement mise
en scène à la Royal Opera House par David McVicar et recréée à Barcelone par
Marie Lambert, était reçue très positivement ce soir de première. Des
lumières claires et diaphanes (presque cinématographiques) d’Adam Silverman,
à l’ample scénographie luxuriante de Robert Jones, en passant par les
costumes encore plus opulents de Jenny Tiramani, la production est tout à
fait conventionnelle d’un point de vue dramatique, mais ne prétend pas
offrir une relecture ou revisiter certains aspects de l’œuvre : elle se
limite à suivre le livret avec brio, et agence de façon avisée les
mouvements des personnages sur scène.
La forte impression de cette
production aura été la composante ultime d’une soirée parfaite qui restera
dans les annales du Théâtre.
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