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Forum Opera, 21 Septembre 2018 |
Par Clément Taillia |
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Liederabend, Paris, Théâtre des Champs-Elysees, 20. September 2018
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Le goût du risque
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Quand on a eu la chance de voir à
plusieurs reprises un récital de Jonas Kaufmann, on attend le prochain avec
un mélange d’impatience et de logique comptable : on a hâte, mais hâte de
retrouver ce qu’on a déjà entendu la fois d’avant, et qui nous a tant
émerveillés. On est avide de répétition, désireux de redite. Bref, on veut
notre comptant, parce que Kaufmann, comme tous les chanteurs qui excellent
dans l’exercice, a su faire de ses récitals une sorte de rite. La fébrilité
qui précède son entrée en scène, les pianissimi impalpables qu’il égrène au
long du programme, les ovations qui couronnent la soirée, les paquets
cadeaux tendrement enrubannés qu’amènent, devant la scène, des files
d’admiratrices chenues, tout cela est codifié, peut prêter à sourire, mais
dit, au fond, la place unique de ce ténor dans le monde musical
d’aujourd’hui.
Alors, les risques pris par cet artiste, qui pourrait
se contenter de refaire ce qu’il a déjà fait mille fois pour combler un
public déjà acquis à sa cause, mais qui choisit toujours la difficulté,
forcent encore l’admiration. De risques, de pièges, cette tournée européenne
n’en manque pas : les Liszt qui ouvrent le concert assurent à Kaufmann, a
priori, un démarrage en douceur, dans un répertoire qu’il explore depuis
longtemps. Seulement, l’arrogance avec laquelle il entonne « Vergiftet sind
meine Lieder » place d’emblée très haut le niveau d’exigence de l’auditeur,
les silences et les ruptures d'« Es ar König von Thule » désorientent et
captent l’attention tout à la fois, le discours décousu, plein de pauses et
de rebonds, des « drei Zigeuner » signale une époustouflante maîtrise du
discours, une musicalité authentique. Et ce n’était que le début ! Les
Rückert-Lieder qui suivent sont impitoyables : sans le soutien opulent d’un
orchestre, avec le seul piano, certes archi-sûr mais un peu dur, d’Helmut
Deutsch, la voix affronte sans fausse pudeur les changements d’humeurs et
d’harmonies de l’écriture de Gustav Mahler. Ainsi exposée, elle est presque
douloureuse dans « Ich atmet’ einen linden Duft », où l’intégrité du timbre,
et jusqu’à l’intonation, cède parfois face à la recherche de l’inflexion
juste, du bon accent, qui seule semble préoccuper Kaufmann. Et que de
risques, encore, dans ce fantomatique « Ich bin der Welt abhanden gekommen
», dans cet étonnant « Um Mitternacht », ombrageux, presque rageur !
Les pages les plus vives du cycle flattent un instrument que l’on a jamais
senti aussi à l’aise quand il s’agit de montrer de la force, de l’héroïsme,
et parfois un soupçon de rudesse. Les pièces de Wolf qui ouvrent la seconde
partie y gagnent en sève et en piquant (« Das ist ein Brausen und Heulen »,
ou « Es blasen die blauen Husaren », conduit comme une véritable saynète).
Mais les Quatre derniers Lieder de Strauss renouent, ô combien, avec le
risque : pas tant celui qui consiste à chanter un cycle où les voix d’hommes
sont ultra-minoritaires (un autre ténor, Pavol Breslik, l’a également donné
il y a quelques jours, dans sa version orchestrée, à Bratislava) que celui
de mettre à nu, une fois de plus, la trame même de la voix. Les vocalises
émaciées de « Frühling », la multiplication des éraillements à mesure que la
soirée avance, voilà qui inquiète. Il faut le souffle long de « September »,
les lignes tortueuses mais plus apaisées de « Beim Schlafengehen » pour être
rassuré ; et « Im Abendrot », forcément, bouleverse et renverse une salle
qui obtiendra quatre bis. L’audacieux, disait Bernanos, préfère son risque à
sa gloire : ce soir les deux n’avaient rien d’incompatible !
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