Resmusica, le 13 juillet 2017
par Vincent Guillemin
 
Verdi: Otello, Royal Opera House, London, 10. Juli 2017
 
L’Otello hors-style de Jonas Kaufmann au Royal Opera House
Tout était prévu en cas d’annulation, mais Jonas Kaufmann est bien présent au Royal Opera House pour sa prise de rôle en Otello, et lors de sa dernière prestation à Londres, le jour de son anniversaire, il n’est pas sur la réserve et n’hésite pas à hausser la voix dans les actes impairs. Pourtant, la question se pose rapidement de savoir si cette façon de chanter le rôle, avec un style unique et inattendu, suffira à imposer une nouvelle référence. Le reste de la distribution mêle une Maria Agresta en Desdemona souple mais peu sensible et un Marco Vratogna en Iago hors-sujet sur la scène londonienne, quand le chœur et l’orchestre chauffés à blanc ramènent aux grandes heures de l’ouvrage dans une salle qui a déjà connu tout les plus grands ténors du drame shakespearien.

En même temps que Jonas Kaufmann, le Royal Opera House a fait appel à celui que nous nommions ici encore trois ans plus tôt à Turin le meilleur Otello actuel, Gregory Kunde, pour une seconde distribution en alternance avec la première. Au même moment, la maison londonienne a programmé une reprise de Turandot dont les deux Calaf, Roberto Alagna et Aleksandrs Antoņenko, ne sont rien moins que les deux autres meilleurs Otello actuels dans le monde. Rien ne pouvait donc empêcher le spectacle d’avoir lieu, mais le ténor allemand est bien présent et, en regard des annulations de début de saison, avant son retour à Paris avec Lohengrin puis à Munich avec Andrea Chénier, Kaufmann affiche une grande forme vocale, tout particulièrement lors de cette dernière de la saison qui, à en croire les bruits de couloirs d’amateurs ayant assistés à toutes les représentations depuis la générale, était la meilleure.

L’apparition du ténor au début de l’acte I donne à entendre une voix presque surprenante dans la clarté du timbre, non pas solaire, mais d’abord moins sombre que celui qu’on lui connaît aujourd’hui. Il utilisera la même technique au troisième acte pour monter sans problème au contre-ut sur Quella vil cortigiana. Mais pour toutes les autres parties, ce nouvel Otello est hors-style, en cela qu’il ne ressemble ni à l’école italienne dont la référence est Placido Domingo (certes espagnol), ni à l’école Heldentenor dont la référence est Jon Vickers, aujourd’hui représentée par Stephen Gould et Peter Seiffert dans le rôle-titre. Tout comme Johan Botha avant sa mort, l’Otello de Jonas Kaufmann présente une autre voix, celle d’un Lohengrin tout à fait en phase avec les wagnérismes du premier duo d’amour, fantastiquement appuyé en fosse par Antonio Pappano, mais beaucoup moins convaincant aux deux derniers actes. Là, l’introspection et le chant piano intéressent encore dans les questionnements de la scène 3 sur Dio ! mi potevi, sans proposer une véritable force dans le meurtre final chanté à la façon du dernier air de Parsifal.

Maria Agresta est sa Desdemona, et si elle avait triomphé sur cette même scène pour sa première apparition à Londres en 2014 dans I Due Foscari face à Placido Domingo et Francesco Meli, elle touche moins cette fois dans un rôle méritant plus de sensibilité, surtout dans l’Air du saule puis la prière. Le premier duo marque grâce à une voix pure, à la ligne de chant droite et à la technique superbement nuancée, mais la mort laisse aussi froide que celle récente de sa Traviata parisienne. Plus problématique, le Iago de Marco Vratogna ne démérite pas mais est clairement hors-sujet au milieu d’un tel spectacle. Sans rentrer à nouveau dans la polémique qui a conduit à l’éviction de Ludovic Tézier pour cette production, il aurait fallu aujourd’hui celui qui réussissait à se faire surpasser Kaufmann dans Don Carlo et Forza del Destino à Munich, car si Vratogna par rapport au ténor prononce lui parfaitement l’italien, sa façon de changer de voix sans raison en cours de phrase ou d’accentuer tout à fait anormalement des corps ou fins de phrases, dérange autant qu’un jeu surfait et agité tout au long de la soirée.

Heureusement, le Royal Opera Chorus exalte toutes ces scènes grâce à une préparation fantastique sous la direction de Vasko Vassilev. L’italianité se dégage de chaque intervention, autant que la brutalité dans une dernière scène de bataille à l’acte I magnifiquement préparée par le maître de combats Ran Arthur Braun. Frédéric Antoun campe un Cassio bien projeté au timbre agréable, quand Thomas Atkins présente un Roderigo jeune et dynamique et Simon Shibambu, seul personnage noir en scène puisque Kaufmann n’a été que bronzé par le maquillage pour l’occasion, montre une voix charnue intéressante dans le bas-médium, très différente de celle de basse profonde d’In-Sung Sim en Lodovico.

Antonio Pappano a longuement préparé son orchestre et le résultat s’en ressent dès l’attaque de cuivres chauffés à blanc à l’ouverture. Il développe ensuite plusieurs voies dans l’œuvre, cherchant Wagner au duo sans l’appuyer autant que ne l’avait tenté Christian Thielemann l’an passé à Salzbourg. Sa mise en avant des chromatismes ensuite donne une véritable noirceur en appui du premier air de Iago au début de l’acte II, mais est trop marquée au début du suivant. Certains jeux avec les solos de bois ou de cordes magnifient l’action dans de nombreuses scènes, mais le manque d’émotion du plateau dans le finale ne trouve pas non plus en fosse toute l’inspiration disponible dans la partition orchestrale.

Pour renouveler une précédente production vieille de trente ans, une nouvelle mise en scène a été confiée à Keith Warner, dont les mauvaises langues diront que les murs latéraux et le fond de scène souvent clos par une porte servent de cornet pour aider au maximum à la projection des voix. Pour le reste et en dehors de l’énergie des combats déjà citée, on ne retrouve que du très classique avec un chant presque toujours en avant-scène face au public, pour une dramaturgie relativement simple dans des décors vaguement modernes et des costumes traditionnels. La qualité de fabrication montre cependant qu’un budget conséquent a été investi pour créer un écrin digne de ce nom à une prise de rôle d’une telle importance.








 
 
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