|
|
|
|
|
Opera Online, 26 juin 2017 |
traduction libre de la chronique de Sam Smith |
|
Verdi: Otello, Royal Opera House, London, 21. Juni 2017
|
|
Otello à la Royal Opera House de Londres
|
|
À l’instar de la pièce de Shakespeare
sur laquelle il se base, Otello, le pénultième opéra de Giuseppe Verdi en
1887, appuie son livret sur l’histoire d’un général de l’armée vénitienne
dont les capacités à appréhender la politique et ses relations personnelles
ne sont pas à l’avenant de ses compétences militaires, dont il a fait la
brillante démonstration sur les champs de batailles. Quand son « ami » Iago
comprend qu’Otello ne lui accordera pas la promotion qu’il attend, il
fomente un piège visant à faire croire à Otello que son épouse Desdemone lui
est infidèle, et le général y succombera à cœur perdu jusqu’à le conduire à
des conséquences funestes.
La nouvelle production de Keith Warner
pour l’Opéra Royal de Londres dévoile des costumes d’époque signés par
Kaspar Glarner, mais les décors conçus par Boris Kudlička ne contribuent pas
à situer le contexte de l’œuvre (basée à Chypre), ni ses enjeux dramatiques
ou les émotions qu’elle porte. De vastes murs coulissants de part et d’autre
de la scène condensent la zone d’action, si bien que l’imposant chœur du
début de l’œuvre parait incroyablement « oppressant », tant visuellement que
vocalement, tant il est contraint dans un espace réduit. La scène, qui reste
le plus souvent dans la pénombre grâce aux lumières de Bruno Poet, contraste
drastiquement avec l’éclairage direct des corps et des visages des
interprètes, renforçant ainsi le niveau de tension via l’utilisation d’un
clair-obscur qui fait écho à la dimension en « noir et blanc » d’Otello.
Pour autant, parce que la mise en scène affranchit l’action de tous
repères temporels et de contexte spécifique (à l’exclusion de quelques
allusions architecturales mauresques ou de symboles vénitiens), il devient
complexe de transporter le spectateur grâce au drame et à l’émotion qui se
jouent sur scène. Bien que le drame soit bien présent, il est difficile pour
nous de ressentir réellement l’émotion. La mise en scène pourrait nous aider
à comprendre comment la méfiance et la bêtise d’un homme puissant peuvent
conduire à la tragédie et à ébranler une société entière, mais il est
difficile de se sentir déstabilisé et écœuré quand le dénouement de la
situation est simplement déroulé sous nos yeux. Parce que nous échouons à
appréhender pleinement des circonstances particulières qui pourraient
conduire un général du XVème siècle à faire confiance aveuglément à son
enseigne Iago sans se poser question, ou à comprendre pourquoi il est si
terrible pour le capitaine Cassio d’être ivre en public (avant même qu’il ne
devienne violent) du fait de la menace de la discipline militaire, nous
peinons aussi à nous identifier au personnage principal. Un choix de mise en
scène qui limite nos émotions au seul drame qui se déroule sous nos yeux,
sans que l’on parvienne à ressentir tous les enjeux auxquels Otello est
confronté.
Dans l’ensemble, les performances vocales suffisent à
elles seules à compenser cette difficulté d’immersion, notamment grâce à
l’engagement des interprètes. Marco Vratogna est un terrible Iago, dont le
baryton a le bon niveau d’épaisseur pour faire ressortir toute la fourberie
et la malveillance du personnage. Sa gestuelle est puissante et il est
intéressant de constater qu’il se tient perpétuellement derrière Otello,
notamment dans leur duo « Sì, pel ciel marmoreo giuro » à la fin de l’acte
II. Ainsi, quand Otello scrute perpétuellement un horizon lointain, passant
dès lors à côté de la compréhension de la vérité, Iago braque son regard sur
lui, évaluant sans cesse son adversaire et ses faiblesses. Maria Agresta est
une excellente Desdemone, dont la voix combine à la fois une force de
conviction et une douceur et une tendresse infinies, plus spécialement dans
« Piangea cantando nell'erma landa », à l’ouverture de l’acte IV.
Jonas Kaufmann fait ses débuts dans le rôle d’Otello à l’occasion de cette
production, et déploie son ténor impressionnant, aux effets captivants. Le
soir de la première, il semblait toutefois parfois chercher à se contenir,
quand bien même cela n’obère en rien l’impact de sa performance vocale – et
peut-être tenait-il simplement à se préserver pour la représentation du 28
juin, qui doit être retransmise à travers le monde dans une sélection de
salle de cinéma. D’autant que cette production pourrait, en effet, gagner à
être vue sur grand écran dans la mesure où la configuration de la scène et
les jeux d’éclairage se révèlent très cinématographiques.
Pour
autant, bien que le chant de Jonas Kaufmann soit extrêmement solide, la
construction du rôle et son interprétation du jeu (sans doute légitimes)
montrent certaines limites. Ici, Jonas Kaufmann dépeint un Otello aux
allures d’âme sensible, psychologiquement ravagé par l’idée de l’infidélité
de Desdemone. Pour autant, alors que nous sommes témoin de ces traits de
caractère, face à l’intelligence, la rouerie et à la malveillance de Iago,
il est trop facile de faire d’Otello un personnage qui se laisserait
simplement aller à la stupidité. Nous ne voyons pas là la force du général,
qui l’incline à agir avec autorité et conviction, et qui pourrait attiser
nos émotions, notamment parce qu’un homme dont les aptitudes intrinsèques
l’enjoignent à développer des défauts de caractère qui le conduiront à sa
perte est bien plus engageant que celui qui se contente simplement d’agir
sans discernement. Il y a néanmoins des exceptions à ce constat, notamment
l’état pathétique dans lequel cet Otello se retrouve finalement lorsqu’il
réalise son erreur et qui s’avère extrêmement émouvant. Mais sans doute
aurait-il été bien plus fort encore de voir un lion soudainement réduit à un
tel état alors que le poids de la vérité l’écrase, plutôt qu’un homme dont
l’esprit semblait plutôt faible dès le début.
Dans la fosse, Sir
Antonio Pappano dirige extrêmement bien, alors que sur scène on assiste à
plusieurs prestations très solides parmi les rôles secondaires, notamment
Frédéric Antoun dans le rôle de Cassio, Kai Rüütel dans celui d’Emilia et In
Sung Sim en Lodovico. À noter qu’une seconde distribution est également
prévue pour d’autres représentations ultérieures, réunissant Gregory Kunde
dans le rôle d’Otello, Dorothea Röschmann pour chanter Desdemone et Željko
Lučić en Iago.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|