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Diapason, Le 11 oct 2017 |
Par Emmanuel Dupuy |
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Verdi: Don Carlos, Paris, Oktober 2017
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Opéra de Paris : sommets vocaux et basses eaux théâtrales pour le retour de Don Carlos en français
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C'est peu dire qu'on l'attendait ce Don
Carlos dans sa version originale française. La dernière fois, c'était en
1996, au Châtelet, que dirigeait alors Stéphane Lissner. Aujourd'hui à a
barre de l'Opéra de Paris, le même nous rend à nouveau ce joyau de notre
patrimoine - rien que pour cela, il faudra lui élever une statue. Hélas, le
patron n'a pas eu la main très heureuse en confiant la mise en scène à
Krzysztof Warlikowski, qu'on n'avait jamais surpris à ce point en panne
d'inspiration.
Pas de forêt, au début, pendant l'acte de
Fontainebleau, mais une grande salle moderne où le chœur des bûcherons s'est
mué en un groupe de touristes pour assister aux échanges entre l'Infant et
la future reine. On comprend vaguement que Carlos a fait une tentative de
suicide et se remémore les circonstances qui l'y ont conduit. Tout l'opéra
sera donc un long flashback qui n'a plus pour cadre la cour de Philippe II,
mais celle d'une monarchie contemporaine.
Warlikowski évacue
l'Histoire et, avec elle, la flamboyance de la fresque comme sa portée
politique. Pour mieux se concentrer sur l'intimité des personnages ? On le
voudrait, mais la direction d'acteurs reste constamment à la surface,
statique, convenue. Sauf, peut-être, au premier tableau de l'acte IV, qui se
passe dans un petit salon éclairé au néon : dans ce resserrement du cadre,
les antagonismes s'échauffent enfin.
Mais pourquoi cette salle
d'escrime, au II, où s'entraînent les dames d'honneur et une Eboli aux
tendances saphiques ? Pourquoi ces projections vidéo de neige électronique,
ou montrant en gros plans fixes les visages des protagonistes ? Même le
tableau de l'autodafé tombe à plat, malgré son impressionnant décor - un
vaste amphithéâtre de bois qui s'avance depuis l'arrière-scène. Les cinq
actes se succèdent, l'ennui guette : un comble, s'agissant d'une des plus
brillantes dramaturgies auxquelles Verdi s'est attelé.
Cela tient
aussi, en partie, à la direction de Philippe Jordan qui, au I et au II,
peine à prendre le pouls de la narration. Le discours s'orne certes de mille
délicatesses et l'orchestre (comme le chœur) se hisse à un degré de cohésion
supérieur - même si sa couleur d'ensemble, comme toujours à Bastille, dans
cette acoustique qui avale les basses, sonne un peu pincée. Mais la fièvre
ne monte guère avant un autodafé où, enfin, l'énergie se libère, pour ne
plus retomber jusqu'au dénouement.
Dans ces circonstances, le
plateau, malgré son luxe suprême, est-il vraiment au maximum de ses
possibilités ? En français comme en italien, Jonas Kaufmann campe un Carlos
idéal, passionné et taciturne, en grande forme après quelques mesures
d'échauffement ; si l'on succombe une fois encore à cet art de la
demi-teinte et de la sculpture des mots, le portrait semble pourtant un rien
moins fouillé et sensible que lors de la production salzbourgeoise de 2013.
De même, Ludovic Tézier, perché sur son somptueux nuage de legato, impérial
de timbre et de phrasés, ferait sans doute un Posa plus ardent s'il était
davantage poussé dans ses retranchements.
Il y a aussi quelque chose
d'un peu trop positif, d'un peu trop sain dans le chant de Sonya Yoncheva,
dont la diction a d'autre part tendance à s'amollir ; mais Dieu que la voix
est belle, que de flammes dans les emportements de cette Elisabeth ! L'Eboli
d'Elina Garanca n'est pas moins incandescente, mettant la salle à ses pieds
avec un « Ô don fatal » où elle donne tout d'elle-même ; dommage que son
français soit si relâché. Celui d'Ildar Abdrazakov est tout juste correct,
mais l'artiste nous touche dans son monologue du IV, roi à terre accablé par
le remords, que viendra torturer l'Inquisiteur sonore et effrayant de Dmitry
Belosselskiy.
Quitte à revenir à l'original, on aurait aimé avoir le
ballet de La Peregrina : tant pis. C'est peu dire qu'on l'attendait ce Don
Carlos français... et c'est sans doute le propre des trop grands espoirs que
d'être déçus.
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