Le Figaro, 4. April 2017
Christian Merlin
 
Giordano: Andrea Chenier, konzertant, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 26. März 2017
 
Le chant magnétique de Jonas Kaufmann
La prestation du ténor dans « Andrea Chénier », opéra de Giordano, a électrisé le Théâtre des Champs-Élysées.
 
Le Théâtre des Champs-Élysées a beau ne pas être situé sur une zone sismique, la magnitude sur l'échelle de Richter du frisson lyrique a fait sauter tous les instruments de mesure dimanche dernier. Quelques jours avant, déjà, le coeur des amoureux d'opéra battait plus vite : pensez, Andrea Chénier avec Jonas Kaufmann et Anja Harteros, c'est du mythique ou on ne s'y connaît pas. S'ajoutait à ce bouillonnement préparatoire l'anxiété qui accompagne désormais chaque apparition de celui dont on guette le bulletin de santé en tremblant, mais aussi de la reine des annulations. Or ils étaient bien là, tous les deux. Et que s'est-il passé? Une soirée électrique, qui met tout le monde à genoux. Ou plutôt, en l'occurrence, debout, mais c'est pareil.

Le très bel opéra de Giordano n'est plausible qu'avec un ténor hors norme, d'où sa présence assez peu fréquente à l'affiche. Kaufmann a tout pour incarner le poète révolutionnaire exalté. De fait, dès son premier solo, le si prenant Un di all'azzurro spazio, il met la salle dans sa poche avec ce timbre de plus en plus sombre, cet éclat mat de soleil noir, cet accent mâle, irrésistible. Contrairement au Lohengrin de Bastille où il s'était économisé au début pour monter en puissance, il donne tout ici d'entrée, quitte ensuite à affronter une fatigue vocale évidente, à ébrécher un aigu piano qui, en temps normal, serait sorti tout seul, ou à être à bout de force dans la scène finale.

Liberté de mouvement
Mais il faut rappeler ici deux vérités premières. Un Jonas Kaufmann fatigué reste plus fascinant que l'ensemble des ténors actuellement sur le circuit. Et dès qu'il se produit avec Anja Harteros, cela fait des étincelles. Il passe entre ces deux-là un courant électrique hors du commun qui relève des âmes soeurs: ils s'entendent, se stimulent, se surprennent, on croit qu'ils vont s'envoler, c'est à couper le souffle. D'autant que la soprano allemande, qui a plus que jamais la grâce et la classe absolues, était ce soir-là tout simplement miraculeuse, déployant sans limite les reflets irisés d'une voix infinie.

Si l'on ajoute que le baryton Luca Saisi incarnait un Carlo Gérard formidablement sonore et généreux, et que le moindre second rôle était campé à la perfection par les membres de la troupe de l'Opéra de Munich, une de ces maisons à l'ancienne où l'esprit d'équipe l'emporte sur les individus. Si l'on ajoute que le Choeur de l'Opéra bavarois est d'une cohésion et d'une palette de nuances où rien n'est laissé au hasard. Si l'on ajoute que l'Orchestrè d'État bavarois est une formation glorieuse, au son ample et généreux tout en étant souple et réactif, sous la direction volontariste jusqu'à la raideur, mais non dépourvue de panache, du chef israélien Omer Meir Wellber. Si l'on ajoute que la version de concert donnée avenue Montaigne avait été précédée de représentations scéniques à Munich, si bien que chacun, malgré le frac et la robe longue, jouait son rôle sans partition, avec une totale liberté de mouvement... On obtiendra une soirée à chair de poule garantie.






 
 
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