Classic Toulouse, 11 août 2016
Serge Chauzy
 
Recital, Sala Sao Paulo, Brasilien, 10. August 2016
 
Le triomphe brésilien de Jonas Kaufmann
COUP DE CŒUR
 
Le « nouveau roi des ténors », ainsi qualifié dans les media d’outre-Atlantique, vient de faire ses débuts au Brésil. Jonas Kaufmann, on le sait, a atteint un statut auquel peu de ses collègues ont accédé. S’il met régulièrement à son répertoire de nouveaux rôles lyriques majeurs, le grand chanteur, le grand artiste qu’il est, ne néglige en rien le monde musical de la mélodie et du lied. Ses interprétations de Die schöne Müllerin (La Belle Meunière) ou du Winterreise (Voyage d'hiver), de Schubert, ont marqué les esprits. Invité par le Mozarteum Brasileiro, à l’occasion des 35 ans d’existence de cette association, le ténorissime a reçu, le 10 août dernier à São Paulo, un accueil triomphal de la part d’un public chauffé à blanc.

La très belle Sala São Paulo de la métropole brésilienne accueille une riche saison musicale. Insérée dans une ancienne gare habilement rénovée (sorte de gare d’Orsay à la brésilienne), elle présente toutes les caractéristiques d’une salle de concert de haut niveau, considérée par le journal britannique The Guardian comme l’une des dix meilleures du monde. C’est en ce lieu de luxe et de beauté que Jonas Kaufmann a choisi de faire ses débuts brésiliens, dans un somptueux programme de lieder et de mélodies, offrant ainsi une large palette de ses talents de chanteur, de musicien, de poète. Il s’est assuré pour cela de la participation du pianiste Helmut Deutsch, prestigieux accompagnateur, d’une exigence artistique extrême, une sorte de double instrumental de la voix, ô combien humaine, du ténor. Helmut Deutsch fut d’ailleurs le très efficace professeur de Jonas Kaufmann. Cette communion de pensée et de réalisation entre les deux partenaires, qui parlent ainsi le même langage, domine toute la soirée et constitue le ciment musical de ce programme.
Franz Schubert ouvre le concert avec le très symbolique Musensohn (Fils des muses) où les interprètes fondent leur partenariat sur le miracle de la fusion des mots et des notes. Sans la moindre trace d’affectation, le ténor puise dans l’infinie palette de nuances, de couleurs dont il sait, dont il peut, parer son chant. On retient sa respiration lors des impalpables pianissimi qu’il distille avec intelligence et sensibilité. On sait d’ores et déjà que la soirée sera exceptionnelle ! L’indispensable Die Forelle (La Truite !) et le paisible et pourtant inquiétant Der Lindenbaum (Le Tilleul), extrait du Winterreise (Voyage d’hiver), s’ajoutent à ce parcours schubertien dont le sommet d’émotion restera Der Jüngling an der Quelle (Le jeune à la fontaine). La nostalgie que distille ici le chant, l’art, le pouvoir d’incarnation du chanteur donne le frisson.
Suit un épisode consacré à cinq lieder extraits du cycle des Zwölf Gedichte von Justinus Kerner (Douze poème de Justinus Kerner) de Robert Schumann. La fantaisie musicale, l’imagination fusent à tout moment, notamment dès l’ouverture sur Lust der Sturmnacht (Plaisir d’une nuit d’orage). Un autre sommet d’émotion étreint l’auditeur à l’écoute de Stille Tränen (Larmes silencieuses) : le tragique à l’état pur !

La première partie s’achève sur un cycle bienvenu de quatre mélodies d’Henri Duparc. Outre le fait qu’il manie notre langue avec finesse et précision, Jonas Kaufmann sait extraire de cette poésie musicale tout son suc si particulier. Les mille couleurs qui parent son timbre vocal se retrouvent dans les vers et la musique de la fameuse et baudelairienne Invitation au voyage. Un rêve qui submerge ! Les deux interprètes abordent ensuite le dramatisme du Château de Rosemonde et l’infinie nostalgie de la Chanson triste. L’extatique et onirique Phydilé conclut ce voyage en terre française.
La très rare version originale chantée des Tre Sonetti di Petrarca (Trois Sonnets de Pétrarque), de Franz Liszt, ouvre la seconde partie de soirée. La version pour piano seul, tellement plus souvent jouée, a longtemps masqué ce triptyque vocal d’une incroyable élaboration musicale. Jonas Kaufmann y trouve un terrain idéal qui lui permet les plus extrêmes nuances, l’ambitus le plus étendu. Disons-le tout net, il s’agit là d’une véritable redécouverte.
La dernière étape de ce panorama ramène l’interprète dans son origine linguistique avec une série de six lieder de Richard Strauss. Tour à tour espiègles, séduisantes, enthousiastes ou chaleureuses, ces mélodies bénéficient d’un abattage impressionnant du chanteur et de la science musicale de son exceptionnel accompagnateur. De Heimliche Aufforderung (Invitation secrète) à l’emblématique Cäcilie, les talents conjugués des deux compères font ici encore des merveilles.
Devant l’enthousiasme insistant du public, les interprètes offrent généreusement quelques bis où se côtoient lieder et airs d’opéra. Parmi ceux-ci, Jonas Kaufmann enchaîne L’anima ho stanca, extrait de l’ouvrage Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea, ainsi que le célébrissime Recondita armonia de Tosca de Giacomo Puccini. En hommage au pays qui l’accueille, le ténor insère également dans ses bis la très touchante chanson du compositeur brésilien Jaime Ovalle, Azulão (Oiseau bleu), tout empreinte de saudade. Chanson qui suscite, bien sûr, un surcroît de ferveur de la part d’un public aux anges !






 
 
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