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Opera World, 30 May 2016 |
Luc Roger |
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Wagner: Die Meistersinger von Nürnberg, Bayerische Staatsoper, Mai 2016
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Nouvelle mise en scène pour les Meistersinger avec Jonas Kaufmann
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La nouvelle production du Bayerische Staatsoper des Meistersinger avec Jonas
Kaufmann est une fête tant pour l´esprit que pour les sens, qui a d´emblée
été célébrée par une critique et un public unanimes. En plaçant l´action à
l´époque contemporaine, le metteur en scène David Bösch donne un nouvel
éclairage au livret, en élargit le propos sans en dénaturer aucunement
l´essence et nous offre la possibilité d´une identification rapprochée, la
direction musicale du maestro Kirill Petrenko enchâsse un nouveau diamant
sur sa couronne de magicien wagnérien, avec un orchestre et des choeurs à
leur plus haut niveau, enfin le plateau réunit des chanteurs de tout premier
plan.
Dès les premières mesures de l´ouverture on est séduit et
bientôt envoûté par l´intelligence et la précision de la direction de Kirill
Petrenko qui fait rendre à l´orchestre toute la luminosité du Vorspiel avec
sa vivacité joyeuse et ses moments d´emphase plus pompeuse. Le maestro
travaille en orfèvre et en ciseleur du détail qui n´est jamais détaché ou
souligné que pour mieux rendre compte de l´ensemble de la phrase musicale.
Des ruisseaux de musique semblent surgir de tous cotés pour se rejoindre
dans la magnificence d´un fleuve sonore. L´orchestre expose avec maestria
les leitmotivs de l´oeuvre, la lutte entre la pompe académique des anciens
déjà couronnés et le lyrisme printanier et novateur de Walther, l´impatience
amoureuse d´Eva ou le comique ridicule des maîtres chanteurs enfermés dans
leurs certitudes et particulièrement de Beckmesser empêtré dans les procédés
frauduleux de sa tentative infructueuse de s´approprier la main d´Eva, la
coda annonçant un heureux dénouement.
David Bösch situe l´action
dans une contemporanéité aux dates incertaines, quelque part entre les
années 50 et la fin du siècle dernier, entre l´ère des crochets de village
et celle des antennes paraboliques ou des portables qu´on demande d´éteindre
en entrée de spectacle. L´ancienne Nuremberg fait place à une banlieue
misérable bâtie de pauvres petits immeubles à appartements aux parois
grisâtres de béton nu, un décor de Patrick Bannwart qui alterne avec un
podium de bois de piètre qualité ceint de cordes comme celui d´un ring de
boxe et entouré d´échafaudages métalliques qui supportent quelques
plate-formes et une série de projecteurs d´éclairage, et qu´on gravit par
des échelles. Des artisans gagne-petit y survivent tant bien que mal, Hans
Sachs confectionne ou répare des chaussures avec pour toute échoppe une
vieille camionnette-fourgon déglinguée, son apprenti David circule à
mobylette et s´endimanche pour rencontrer sa belle Magdalene. Seul le
bijoutier Pogner semble disposer d´une certaine aisance comme en atteste sa
BMW(dont les connaisseurs reconnaîtront sans peine le millésime) et le fait
qu´il sponsorise le concours de chansons de la cité. L´appartenance à une
confrérie de maîtres chanteurs aux règles innombrables contenues dans de
vieux dossiers de bureaux console toutes ces personnes de leurs existences
sordides. C´est dans ce milieu étriqué que débarque Stolzing, en blouson de
cuir et guitare à la main, un type qui semble sorti d´un roman de Kerouac et
pour qui la poésie et le chant n´ont que faire des règles empoussiérées,
auxquelles certains maîtres semblent tenir comme à la prunelle de leurs
yeux. Une querelle des anciens et des modernes version Wagner. Le concours
semble organisé comme pour être filmé (comme en témoigne le panneau portant
un « Bitte, Ruhe », équivalent du « Silence on tourne »). Une procession
passe, comme on en voit pour la Fête-Dieu, un prêtre entouré d´acolytes
portant très haut le Livre Saint suivi de porteurs d´une statue de bois
représentant un Christ avec dans les bras croix et agneau. On est la veille
de la Saint Jean, et comme le prix du concours est la main d´Eva, c´est
aussi une « Polterabend », une de ces soirées allemandes où l´on casse de la
porcelaine pour souhaiter bonheur au couple dont on va célébrer les noces le
lendemain. Ici, dans le pauvre quartier populaire de David Bösch, la
Polterabend se transforme en une révolte populaire, des casseurs
peinturlurent les murs des maisons de grafitis (le A de Anarchie) ainsi que
la camionnette de Hans Saschs, dont l´enseigne de néons qui formaient les
lettres de son nom, Sachs, se voit détériorée, ne laissant plus qu´un « Ach!
», « Ach » comme dans « Ach was (allons bon!) » ou « Ach du mein lieber
Gott! (Oh mon Dieu!) ». Le jour de la Saint Jean, pour le concours, David
Bösch et Patrick Bannwart nous donnent un superbe tableau qui occupe toute
la scène, avec le podium-ring au centre entouré des échafaudages portant des
grandes banderoles de tissu blanc et dont les plates-formes supportent les
choeurs faisant foule. A droite de la scène Pogner et sa fille toute de
blanc vêtue occupent une plate-forme. A l´arrière-plan, sur un écran parfois
brouillé de neige comme un téléviseur, défilent la projection en noir et
blanc de publicités d´une autre époque (Travail vidéo de Falko Herold).
Le peuple prend le parti de la nouveauté et soutient Stolzing. Stolzing
lui-même iconoclaste avait auparavant déjà brisé, dans une superbe mise en
abyme inversée, le buste de Richard Wagner. David rend ainsi sa pièce au
compositeur, qui avait lui aussi révolutionné l´opéra, souvent incompris et
puis célébré. Amusante, et magnifique trouvaille de mise en scène qui ajoute
au comique de l´opéra, une trouvaille d´autant plus audacieuse que les
Meistersinger furent crées sur la scène munichoise il y a près de cent
cinquante ans. Bösch donne une lecture de l´oeuvre qui met en valeur
l´émotionnalité des divers personnages, qu´il aborde avec humanité,
tendresse et empathie. Si la plupart des personnages ont dans le livret même
un profil plutôt sympathique, -l´ardeur juvénile et la sève amoureuse d´Eva,
le goût pour une liberté qui se défie de toute contrainte et la créativité
de Walther, les amours simples et heureuses de Magdalene et de David, la
tendre bonhomie protectrice, paternelle et généreuse de Hans Sachs qui
comprend le génie de Walther et le soutient, et qui met son amour pour Eva
sous le boisseau pour favoriser l´union des jeunes gens-, David Bösch
dessine le portrait de Sixtus Beckmesser avec la même tendresse, qui ici,
s´il s´ empêtre dans ses ridicules, est aussi compris avec une certaine
bienveillance, celle que des parents peuvent avoir pour des enfants qui se
fourvoient. Le tragique du personnage est souligné tout autant que son
comique. La mise en scène du final pose cependant question: on y voit
Beckmesser arriver sur scène dans le dos de Hans Sachs et pointer l´arme
vers la tête du poète, avant de se reprendre et de retourner l´arme contre
lui-même. La vision de David Böschse termine par un suicide et le départ sur
la route de Walther von Stolzing et d´Eva qui partent vers de nouveaux
horizons, laissant la cité à ses traditions alors que les maîtres chanteurs
et le choeur entonnent un hymne nationaliste à la culture allemande. On ne
voit pas ce que ce suicide apporte à l´opéra, ce me semble une solution par
trop facile à la complexité de la mise en scène du final, et au problème
noueux de faire passer le panégyrique de Sachs puis du choeur à la
germanitude et à ses maîtres (« …das heil’ge röm’sche reich, das heil’ge
deutsche Kunst! »).
L´intelligence et les trouvailles de la mise en
scène servent d´écrin à d´incomparables chanteurs, auxquels la direction
musicale apporte une attention de tous les instants. Kirill Petrenko réussit
à créer une parfaite osmose entre la fosse et le plateau et travaille,
semble-t-il, en excellente complicité avec le metteur en scène, les choix du
dernier rencontrant bien la lecture de la partition du directeur musical.
Wolgang Koch qui pratique le rôle de Hans Sachs depuis à présent dix ans,
-il a fait ses débuts dans le rôle en 2006 à Bayreuth-, l´habite avec une
aisance remarquable, ce rôle est devenu une de ses plus belles cartes de
visite. Koch donne un chant ample et puissant qu´il aborde avec une
puissance expressive et émotionnelle qui correspond bien à la vision du
personnage développée par le metteur en scène. Le baryton déploie la palette
complexe et nuancée du déchirement intérieur qui anime ce veuf qui
transcende sa solitude par la poésie.Wolgang Koch ne se perd jamais dans la
grandiloquence des effets de voix, mais livre un travail tout au service de
son personnage, ce qui est l´apanage des plus grands chanteurs. L´ovation du
public reconnaissant est énorme. Aux côtés de ce routier du rôle, on trouve
l´exceptionnelle prise de rôle de Jonas Kaufmann en Walther von Stolzing.
L´acteur impressionne autant que le chanteur. Jonas Kaufmann, la quarantaine
sonnée, se transforme en un jeune routard d´une bonne vingtaine d´années qui
a le goût d´une vie libre et n´a que faire des conventions sociales ni des
règles de fonctionnement de la société des maîtres chanteurs. L´amour seul
lui fera troquer son blouson de cuir noir pour le veston cravate, mais pour
un instant seulement, bien vite le naturel reprend le dessus, la cravate est
offerte à sa belle lors du tournoi de chant, et le veston jeté aux orties.
Le chanteur fascine dans le rôle, aucun effet de manches, mais la pure
beauté de la précision, d´une articulation et d´une projection sans failles,
de la recherche constante d´une correspondance entre le chant et l´émotion,
un travail extrêmement calibré, techniquement impeccable qui fait
parfaitement pendant à celui de Wolgang Koch et deKirill Petrenko. Kaufmann
atteint le sublime dans le grand air du concours entièrement adressé à Eva
qui campe les Juliette sur son balcon, Ce chant d´amour qu´il crée alors que
Hans Sachs en prend note, dont Beckmesser s´approprie sans parvenir à le
rendre et qui devient un hymne à l´amour libre au moment du concours. Le
troisième grand rôle masculin est porté avec brio par Markus Eiche, un
contre-rôle difficile car il s´agit dans la vision de David Bösch de jouer
les équilibristes entre les ridicules et la fragilité pathétique et
désespérée du personnage. Sara Jakubiak donne une Eva à la fraîcheur
pétillante, remarquable comme dans son interprétation d´un « Selig wie die
Sonne… » aussi tendre que vibrant à la quatrième scène du troisième acte.
Benjamin Bruns nous offre un David maladroit et attachant, au ténor
lumineux, excellent dans son grand air des règles des maitres chanteurs «
Mein Herr, der Singer Meister-Schlag gewinnt sich nicht an einem Tag… » du
premier acte. Enfin, la mezzo Okka von der Damerau, dont l´étendue vocale
est décidément surprenante, chante Magdalene avec un soprano juvénile, clair
et sensuel extrêmement séduisant, qui ensorcelle un David totalement
enamouré.
L´excellence est au rendez-vous de ces Meistersinger dans
cette mise en scène bourrée d´humour et de tendresse, que la critique donne
comme la plus aboutie de ces dernières décennies au Bayerishce Staatsoper.
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