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Diapason, 10/12/2015 |
Par Benoît Fauchet |
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Berlioz: La damnation de Faust, Paris, Opera Bastille, 8. Dezember 2015
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Opéra Bastille : La Damnation de Faust dans une faille spatio-temporelle
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La Damnation de Faust ? Une « légende dramatique », dit Berlioz. Pas
(vraiment) un opéra. En dépit ou peut-être à cause de cela, il lui faut un
concept, pense Alvis Hermanis. Qui propose un voyage spatio-temporel hanté
par « le Faust du XXIe siècle » : c'est ainsi que le metteur en scène letton
voit le scientifique Stephen Hawking, dont la silhouette paralysée par la
maladie sur son fauteuil roulant et les pensées projetées en surplomb du
plateau sont omniprésentes. A l'épilogue, Hawking retrouve sa motricité,
presque son envol, dans la peau du danseur fétiche de Pina Bausch, Dominique
Mercy — merci pour ce moment de grâce, mais il est bien tardif.
L'Europe lyrique a connu un Hermanis plus inspiré, dans des Soldats de
Zimmermann implacables (Salzbourg 2012) et une Jenufa d'une belle
originalité esthétique (Bruxelles 2014). On imagine en rêvant ce que ce
diablotin de Peter Sellars aurait pu tirer d'une telle transposition.
Hermanis n'en fait pas grand-chose, comme tétanisé par l'ampleur du défi et
du plateau, qu'il meuble de modules de plexiglas et d'acier, peuple de
danseurs paraphrasant maladroitement le récit et de figurants, sature par un
mur de vidéos léchées mais parfois risibles, entre imagerie de la Nasa et Le
Peuple de l'herbe. Il faut ne pas aimer, ne pas respecter la musique pour
illustrer la romance de Marguerite et son déchirant cor anglais d'un
accouplement d'invertébrés à la flamme si faiblement ardente — la salle
pouffe, évidemment.
Pauvre Marguerite ! Sophie Koch a l'air de se
demander ce qu'elle fait dans cette galère, et la continuité de la ligne, la
qualité du legato s'en ressentent, d'autant que rien ne semble prévu, dans
cette scénographie cosmico-futuriste ouverte vers l'infini des cintres, pour
projeter convenablement les voix. L'un de nos mezzos les plus glorieux n'en
reste pas moins admirable d'engagement, notamment dans le duo d'amour. Jonas
Kaufmann, lui, comme il s'en était ouvert à la presse avant la première,
sait à quoi s'en tenir : une direction d'acteurs paresseuse. Qu'il compense
par la présence et le charme irrésistibles qu'on lui connaît, et une
émission vocale de plus en plus confortable, de moins en moins métallisée et
engorgée au fil de la soirée : son invocation « Nature immense » est un
accomplissement. On pourra gloser sur un semblant de gémellité entre ce
soleil noir et le baryton-basse si peu sombre en Méphistophélès,
quoiqu'assez impressionnant dans sa geste gargantuesque, de Bryn Terfel.
Reconnaissons plutôt que ce plateau luxueux, que le Brander d'Edwin
Crossley-Mercer ne dépare pas, est une consolation.
Les forces maison
ne le sont pas tout à fait. Comme s'ils avaient tout donné dans le récent et
harassant Moïse et Aaron, les choeurs retombent dans de menus mais vilains
travers — défauts d'unité, de subtilité, d'intonation. En fosse Philippe
Jordan a des idées — qui en doute ? —, balaye un large nuancier, des cordes
translucides aux cuivres guerriers, mais curieusement en ce soir de gala son
orchestre censé parler une langue maternelle ne soigne pas sa netteté, sa
poésie, son esprit. Aux saluts, la bronca accueillant le metteur en scène
rappelle, au seuil du mandat de Stéphane Lissner, les grandes heures de
l'ère Gerard Mortier. Mais lui avait sagement choisi de reprendre une
production de son prédécesseur : La Damnation selon Robert Lepage. Abondance
d'images déjà, mais autrement ensorcelantes. Qu'est-elle devenue ? |
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