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Libération, 10 décembre 2015 |
par Guillaume Tion
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Berlioz: La damnation de Faust, Paris, Opera Bastille, 8. Dezember 2015
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La première : «la Damnation de Faust» à Bastille
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Il y a des choses qu’il vaut mieux éviter. Comme lancer des huées en plein
milieu d’un spectacle, interpeller d’un bout à l’autre de la salle un
spectateur en le traitant de «connard», mettre en scène un duo d’amour entre
un handicapé et une femme sur fond de gros plans d’escargots avec un module
lunaire qui traverse l'arrière-scène ou, peut-être plus grave, foirer dans
les grandes largeurs la Marche de Radetzky lors d’une première de la
Damnation de Faust à l’Opéra de Paris. Tout cela s’est pourtant produit
mardi 8 décembre à Bastille, en ce jour étonnant qui voyait notre bonne
ville devenir capitale mondiale du lyrisme car assénant à la même heure et
dans quatre endroits différents Damnation de Faust avec Kaufmann (Bastille),
Château de Barbe-Bleue / Voix humaine avec Hannigan (Garnier), Norma avec
Agresta (Théâtre des Champs-Élysées) et la soprano Waltraud Meier en récital
à la Philharmonie.
Pour cette Damnation de Faust très attendue et
interprétée par le plébiscité ténor munichois Jonas Kaufmann, le metteur en
scène letton Alvis Hermanis avait choisi l’oblicité d’une idée à première
vue séduisante : le Dr Faust d’aujourd’hui pourrait être le physicien
britannique Stephen Hawking, presque complètement paralysé sans lien avec
les plaisirs de notre Terre, l’esprit en conquête d’un monde où le salut de
l’humanité ne peut passer que par un détour sur Mars. Autant dire un sujet
en or pour Mephistophéles. Alors oui, pourquoi pas, d’autant que le
démarrage est plutôt bien emmené, sur une scène baignée de noir et aux
multiples écrans annonçant les futurs colons de la planète rouge.
Entre-temps, on a appris qu’Hermanis était une sorte de Donald Trump de
l’art européen qui refusait de travailler avec le Thalia-Theater de Hambourg
car celui-ci multipliait les actions en faveur des réfugiés, qu’il
considérait lui-même que «les réfugiés ne sont pas tous terroristes mais que
tous les terroristes sont des réfugiés», et que sa grande idée de refuge
salutaire martien allait donc totalement à l’encontre de ses pensées
profondes sur l’ailleurs, les transhumances et les migrations. De mauvaise
foi, pour résumer.
Mais revenons au spectacle, superbement porté par
Kaufmann (la voix du Faust handicapé) et Bryn Terfel (Mephisto), bien assuré
par la soprano Sophie Koch, mais maladroitement dirigé par Phlippe Jordan.
Le Suisse pourtant porté sur la clarté des articulations a peiné : passages
peu lisibles, vents incontrôlables à la limite de l’anarchie et des partis
pris WTF (où est la tierce flamboyante du finale Radetzky, pourquoi ces
fermatas très courts ?). Mais cela ne valait finalement pas un blâme par
rapport à la mise en scène d’Hermanis, qui joue sur deux tableaux : scène
vide avec quelques cages en verre et les protagonistes ; écrans surélevés
moulinant des images paraphrases animalières ou paysagères (désert, peau,
fourmi, cachalot, espace, fœtus…) dans un géosymbolisme gnangnan. Malgré
quelques bons moments comme l’ouverture du 3e tableau avec des danseuses
dans un mobile et la lumière vert-bleu pendant le Roi de Thulé, Hermanis ne
parvient pas à trouver la martingale pour relier ces tableaux disparates
arrachés au Faust de Goethe.
Dans la salle, les insultes entre les
balcons et le parterre ont abouti à un compromis lors du tombé de rideau :
applaudissements nourris pour les choristes, les danseurs, les chanteurs, et
même pour Jordan et son orchestre sur terrain glissant. Mur de huées en
revanche contre le malheureux Alvis Hermanis, pour lequel on ne peut qu’être
empathique tant la situation de se retrouver devant 3 000 personnes vent
debout contre vous et juste vous doit être malaisante. Il y a de bons
spectacles avec des huées. Mais des huées ne font pas de bons spectacles.
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