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Opera Online, 31 janvier 2015 |
Kevin Lérou |
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Giordano: Andrea Chenier, London, Royal Opera House, 20. Januar 2015
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La République de Chénier (à la Royal Opera House)
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Devant une soirée pareille, il faudrait vraiment être mesquin pour trouver à
redire. Certes, quelques paraphrases du livret dans la mise en scène,
quelques rôles secondaires à la voix un peu acide, la respiration parfois
laborieuse de la soprano... Mais pour tout le reste, cet Andrea Chénier fera
date.
On n’avait encore jamais vu Jonas Kaufmann dans un tel état de
grâce. La passion de ses Cavaradossi et la complexité de ses Werther
n’étaient que des préludes à ce Chénier : un poète pré-romantique, honnête,
intègre, débordant de charisme. Pour cette prise de rôle, tout parait
facile, évident, tout respire d’une jeunesse et d’une insolence
époustouflantes. Son incarnation du personnage et une assurance musicale
sans faille nous font redécouvrir le parler-chanter, la déclamation, la
force du verbe qui habite les grands poètes. Elan sublime couronné par le
duo du quatrième acte, dans lequel la superbe Maddalena campée par Eva-Maria
Westbroek apparaît toujours plus exaltée, sensuelle et résolue.
Baisers érotiques copieusement échangés, l’œil brillant de folie, la
débauche d’énergie sonore... Le meilleur de l’opéra et du théâtre est au
rendez-vous. Zeljko Lucic, dont on connaissait la musicalité somptueuse,
donne à son Carlo Gérard une trajectoire psychologique parfaitement
maîtrisée, partagée entre l’honneur, la jalousie et le sens de la
compassion. Complétée par la présence sulfureuse de Denyce Graves dans le
rôle de la confidente au grand cœur, la distribution donne à entendre un
authentique feu d’artifice vocal.
Le choix des costumes d’époques
apporte un cachet historique impressionnant et presque cinématographique,
bien qu’un peu trop « propre », notamment en ce qui concerne les «
merveilleuses »… La scénographie, intelligente, permet instantanément de
ressentir le changement de climat entre le début des insurrections en 1789
et la vie quotidienne sous la Terreur, faisant presque oublier un buste de
Marat légèrement démesuré par rapport au plateau.
On saluera enfin
l’immense talent d’Antonio Pappano qui entraine la fosse et la scène avec
une vitalité désarmante, son orchestre clair et franc servant l’extrême
délicatesse de la partition. L’ensemble montre le vérisme dans ce qu’il a de
meilleur, organique et dépouillé de toute vulgarité, habité de réminiscences
classiques omniprésentes, et prompt à la peinture fidèle des vies les plus
tourmentées.
La révolution française se rejoue sous nos yeux, dans
ses idéaux contradictoires et ses situations rocambolesques, où l’espoir et
l’arbitraire ne cessent de se confondre et de se confronter.
Comme un
leitmotiv, à chaque tombé de rideau, dans une atmosphère d’entre-acte
pesante, on peut lire la terrible citation de Robespierre écrivant, alors
qu’il refusait la grâce de Chénier : « Même Platon a chassé les poètes de sa
République. » Le fait que la Royal Opera House n’ait pas redonné cet opéra
depuis trente ans en fait un événement d’autant plus remarquable. On se
rappelle que la condition de créateur, et sa liberté, sont à réinventer
encore, comme la place que nous, spectateurs, accordons chaque jour à la
poésie une fois sortis du théâtre. Covent Garden a résonné d’une ovation
triomphale, ayant présenté deux amoureux révoltés, qui opposent à
l’arbitraire de l’Ancien Régime, de la Terreur et de l’obscurantisme, la
force de leurs sentiments et leur amour de la liberté. Quel bonheur ! |
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