Toute la culture, 14 octobre 2015
Par Victorine de Oliveira
 
Strauss: Ariadne auf Naxos, Bayerische Staatsoper München, Gastspiel, Paris, TCE, 12. Oktober 2015
 
Ariane à Naxos au Théâtre des Champs Elysées : soyons (peu) sérieux
La troupe de l’Opéra de Munich faisait halte lundi 12 octobre à Paris pour une unique représentation d’Ariane à Naxos de Richard Strauss en version de concert.
Il y a des soirs où le spectacle est tout autant sur scène que dans la salle. A l’affiche, des paillettes : le ténor superstar Jonas Kaufmann, Elvis Presley de l’opéra (on raconte que des fans lui ont jeté des petites culottes sur la scène des dernières Proms de Londres), la soprano Anja Harteros (finalement remplacée par Amber Wagner), et le chef d’orchestre Kirill Petrenko, récemment nommé à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin après un insoutenable suspense de plus d’un mois. Côté salle, on a croisé l’essayiste Jacques Attali – « Je prédis qu’Ariane succombera au charme de Bacchus », se serait-il avancé, la Ministre des Affaires sociales et de la Santé Marisol Touraine – aller au concert, c’est bon pour le cœur, on ne vous le répètera jamais assez -, l’ex-présentatrice du journal télévisé de TF1 Claire Chazal – Paris Match en a déjà tout dit, qu’ajouter ? C’est donc un peu distrait par la concentration élevée en sacs matelassés noirs au double C entrecroisés que l’on s’est plongé dans cette étonnante fable signée Richard Strauss.

La situation a tout d’une gageure : deux groupes de chanteurs et comédiens répètent chacun de leur côté une pièce destinée à égayer la fête d’un riche bourgeois. D’une part un drame mythologique, où Ariane, abandonnées de Thésée, pleure son amour blessé sur la plage d’une île déserte. De l’autre, une joyeuse comédie sur l’amour enlevée par la pétillante Zerbinette. Opera seria et comedia dell’arte se disputent le prime time, comme le feraient aujourd’hui film d’auteur et Anges de la téléréalité. Qui des deux passera le premier ? Le bourgeois tranche : les deux en même temps. Scandale ! Et casse-tête musical. Après ce « prologue », place donc à l’unique acte où Ariane, d’abord amante éplorée, prête à se jeter dans les bras de la mort, tombe sur ceux de Bacchus, qui ne lui paraissent pas si mal. Comme on la comprend : il a les traits de Jonas Kaufmann.
Le ténor et Amber Wagner forment un duo assez équilibré, émouvant, parfois même ironique. Au prologue, Wagner, qui n’est encore que « Prima Donna », singe à merveille les caprices d’une diva tout en trémolos roucoulants. En Ariane, elle déploie un chant ample et moelleux. Kaufmann est… Kaufmann, c’est à dire étourdissant de maîtrise et de charisme, malgré un rôle finalement presque secondaire. Ce serait donc mentir que lui décerner le titre de star de la soirée. La Zerbinette de Brenda Rae a emballé la salle dans un tourbillon de soie rouge, de vocalises virtuoses, de drôlerie et de sensualité.

Quand au reste de la distribution, il est assez inégal. Alice Coote, dans le rôle du compositeur, force ses aigus, malgré un beau timbre, et surjoue un poil son indignation d’artiste floué. Naïade, Dryade et Echo (Eri Nakamura, Okka von der Damerau et Anna Virovlansky) forment un charmant trio, malgré quelques accidents de justesse. Arlequin (Elliot Madore), Brighella (Matthew Grills), Scaramouche (Dean Power) et Truffaldino (Tareq Nazmi) sont leur pendant comique, très à l’aise dans leur jeu de chamailleries vocales.

Petrenko, enfin, mène un Orchestre de l’Opéra de Munich format poche d’une baguette souple. Avec quasiment un soliste par pupitre, on pourrait craindre l’absence d’homogénéité : ce serait mal connaître ces musiciens, aussi prompt au solo qu’au fondu dans la masse orchestrale straussienne. La mélodie en flux continu déroule ses couleurs, parfois ses aspérités, mise en valeur par l’absence de mise en scène. Débarrassée des paillettes, c’est bien la musique à nue que l’on a entendue.






 
 
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