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Anaclase |
par michel slama |
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Strauss: Ariadne auf Naxos, Bayerische Staatsoper München, Gastspiel, Paris, TCE, 12. Oktober 2015
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Ariadne auf Naxos Op.60 (version de concert)
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Donner Ariadne auf Naxos en version de concert pourrait être une gageure,
s’agissant de l’une des œuvres lyriques de Richard Strauss où l’art de la
scène s’invite doublement. Le sixième opéra du grand compositeur allemand
prévoyait en effet, dans sa première version de 1912, une représentation du
Bourgeois gentilhomme de Molière, suivie de l’opéra lui-même. Le théâtre
dans le théâtre devient le thème de la version définitive de 1916, sous la
forme d’un long prologue chanté présentant les protagonistes, suivi de
l’opéra, pastiche juxtaposé d’opera seria et de commedia dell’arte. Paris ne
le découvrit qu’en 1937 avenue Montaigne, lors de la tournée de la
Staatsoper Unter den Linden (Berlin) dirigée par Clemens Krauss.
Ce
soir, dans ce même lieu, sans décors ni costumes, l’exécution pourrait
décevoir le straussien impénitent, si les chanteurs ne s’investissaient pour
jouer leur rôles avec engagement et si l’affiche n’était aussi
exceptionnelle, avec l’incontournable star planétaire Jonas Kaufmann dans le
rôle de Bacchus [notre photo, prise lors de l’incarnation salzbourgeoise].
La défection d’Anja Harteros, très attendue dans le rôle-titre, n’a pourtant
pas découragé un public avide de participer à l’événement de ce début de
saison parisienne. Pour la remplacer, Amber Wagner, jeune cantatrice
américaine déjà acclamée pour son incarnation des grands sopranos wagnériens
et verdiens, séduit par l’insolente puissance de la voix, malgré des aigus
parfois difficiles et une caractérisation un peu sommaire. Depuis septembre,
elle interprète, en parallèle, le rôle-titre dans la production du Minnesota
Opera.
On n’attendait plus Alice Coote en Komponist. Le mezzo-soprano
anglais (qu’on appréciait en Prince charmant de la Cendrillon de Massenet
aux côtés de Joyce DiDonato) est une habituée des rôles travestis –
Ariodante, Serse, Cherubino, Sesto [lire notre chronique du 18 octobre 2006]
et Octavian [lire notre chronique du 12 avril 2012], entre autres, sont
depuis longtemps ses chevaux de bataille. Son Compositeur manque un peu de
juvénilité et d’élégance. Sous prétexte d’irascibilité propre au caractère
du personnage, elle abuse des fortissimi et de notes criées, ce qui ne gêne
visiblement pas l’auditoire qui lui fait belle ovation à la fin du Prologue.
Découverte à Garnier dans le rôle d’Anne Trulove du Rake’s Progress de
Stravinsky, Brenda Rae connaît bien sa Zerbinetta qu’elle a déjà chantée à
Francfort (et enregistrée pour Oehms Classics). Cette ravissante artiste
très éclectique (d’Händel à Strauss en passant par Donizetti), au timbre
charmant et aux vocalises impeccables, enthousiasme un public en délire qui
l’applaudit frénétiquement pendant de longues minutes, après son grand air
Großmächtige Prinzessin. Cette fois-ci, Zerbinetta l’a largement emporté sur
Ariadne… Tous les seconds rôles sont remarquablement interprétés par une
pépinière de jeunes talents, parfois encore un peu verts. En smoking, le
quatuor italien fait penser aux shows des Comedian Harmonists et les trois
nymphes qui accompagnent l’héroïne dans son exil sont très compatissantes et
fort plaisantes.
Reste l’idole Jonas Kaufmann qui, on s’en doute,
contribue sur son seul nom à la renommée du spectacle et au surbooking de la
salle. Même si Bacchus est un rôle volontairement sacrifié par Strauss – il
ne chante qu’une vingtaine de minutes, à l’extrême fin de l’ouvrage – le
public incrédule tient à tout prix à voir son divo adulé… Cette fois-ci,
plus de débat sur le timbre idéal ou non du « ténorissime » dans le
répertoire italien [lire nos critiques des récents CD Puccini, Wagner et
Verdi] : l’œuvre est en langue allemande et son Bacchus est presque sans
réserves. La mise en scène du Salzburger Festspiele 2012 nous le montrait
indiscutablement à son meilleur [lire notre critique du DVD]. Aujourd’hui,
son Bacchus connaît une entrée difficile dans la rencontre avec Ariadne –
quelle idée de le faire arriver du fond de l’orchestre dans une mise en
espace par ailleurs quasi inexistante ! Heureusement, notre ténor se
rattrape en livrant une vision habitée et superlative du dieu ensorcelé par
Circé. Retournant pour un soir au répertoire germanique, Kaufmann s’est
quasiment surpassé.
Le vrai triomphateur de la soirée reste cependant
le Bayerisches Staatsorchester que dirigèrent les plus grands noms, dont
Richard Strauss lui-même. On reste fasciné par ce phrasé, cette intelligence
idiomatique de la partition complexe alternant deux aspects différents du
génie straussien, la truculence d’un opéra baroque façon Commedia dell’arte
et la grandeur wagnérienne d’Ariadne abandonnée. Futur chef des Berliner
Philharmoniker, Kirill Petrenko en est l’orfèvre attentif. Il veille à
respecter la vocalité des chanteurs, retenant son orchestre pour ne jamais
mettre en péril l’équilibre. Une grande soirée digne de l’excellente
programmation du Théâtre des Champs-Élysées – à marquer d’une pierre blanche
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