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Forum Opera, 9.4.2014 |
par Clément Taillia |
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Schubert: Winterreise, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 8. April 2014
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Jonas Kaufmann libéré !
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S’accoutumer même à l’exception fait partie de la nature. Il n’est pas
jusqu’à Jonas Kaufmann qui ne soit concerné par ce phénomène. Miracle
inattendu et inespéré il y a quelques années, le ténor allemand est devenu
une vedette incontournable – et, sur le marché certes restreint du disque
lyrique, inévitable. Une forme de lassitude guetterait-elle ? Son dernier
disque, consacré au Voyage d’Hiver de Franz Schubert, est certes un produit
de fort belle facture, où ne point nulle altération des qualités usuelles de
l’artiste, mais au fond il ne nous a pas réellement convaincu : plutôt sage
dans ses intentions expressives, Kaufmann, davantage préoccupé par la beauté
de son chant que par l’émotion censée s’en dégager, y apparaissait aussi
excellent que prudent.
Au Théâtre des Champs-Elysées, on croit un
temps qu’il en ira de même tout au long de ce concert produit par les
Grandes Voix. Elégants et corsetés, « Gute Nacht » ou « Erstarrung » ne sont
pas d’un jeune homme frappé au cœur par la perte de l’amour. Arrive « Der
Lindembaum », arrive « Wasserflut », et tout change : l’instrument s’étire
en de belles nuances piano qui, au-delà de leur beauté instrumentale,
immiscent comme une fragilité, insinuent une folie. Avec « Rückblick »,
murmuré au-delà du chant, et avec « Irrlicht », paré, par la grâce d’un
legato insensé, de mille lueurs inquiétantes, Kaufmann nous offre le
Winterreise dont son disque nous privait : ce voyage est l’histoire d’une
gradation lente et inéluctable, au rythme des états d’âme d’un protagoniste
évoluant du simple dépit vers le délire le plus sourd. Si souvent balancée
comme une ariette un peu amère, « Die Post » en sort transfigurée,
impitoyable flagellation que s’inflige un fou ; « Die Krähe », en devient
hallucinée, théâtre du mélange d’effroi et de fascination qui saisit, face à
l’approche de la mort. A mesure que le promeneur de Wilhelm Müller se libère
du fardeau de sa vie, Jonas Kaufmann, lui, se libère des contraintes du
chant, ne recule devant aucune nuance, s’autorise tous les risques - « S’il
n’y a pas de Dieu sur la terre, nous sommes nous-mêmes des Dieux »,
chante-t-il dans « Mut ! ». Cette dimension héroïque, presque bravache,
c’est aussi du côté du piano de Helmut Deutsch, schubertien aguerri et
partenaire irremplaçable des récitals kauffmaniens, qu’il faut la chercher.
Enfin arrive un ultime cycle dans le cycle, de « Täuschung » jusqu’au «
Leiermann ». Là le chant se glace, comme le corps se raidit et le visage se
tend : la vie n’est plus qu’un vague souvenir, le voyageur est au bout du
chemin, et la salle, hors d’elle, s’abîme dans d’immenses ovations pour
cacher son émoi.
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