Opéra Magazine, juin 2014
Patrice Henriot
 
Konzert mit dem Kammerorchester Wien-Berlin: Mahler, "Lieder eines fahrenden Gesellen", Opéra royal du château de Versailles, Paris, 8. Mai 2014
 
Jonas Kaufmann - Versailles
Château de Versailles Spectacles» ayant annoncé Jonas Kaufmann dans les Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d'un compagnon errant) de Gustav Mahler, l'intérêt d'assister à l'exploration du romantisme tardif par le bouleversant interprète de Werther et Winterreise avait sans doute donné au public l'espoir d'un «récital Jonas Kaufmann ». Restait à savoir comment quatre lieder constitueraient une soirée.

Si l'espoir du récital fut détrompé, c'est par l'expérience merveilleuse d'un concert consacré à la musique allemande des XIXe et XXe siècles, dans les subtilités et les méandres de son lyrisme inquiet. En un programme judicieusement réfléchi furent associés la formation chambriste de super-solistes des Philharmonie(s) berlinoise et viennoise (Kammerorchester Wien-Berlin), sous l'impulsion de son fondateur, le premier violon Rainer Honeck, et le chanteur capable de s'identifier à cette musique, d'incarner la musique même.

Après la Symphonie pour cordes n° 10 de Mendelssohn, délicate et savante, c'est l'univers poignant des Lieder eines fahrenden Gesellen, dans la version pour ensemble de chambre réalisée — cela a son importance — par Arnold Schoenberg (1920). Dès son entrée en scène, Jonas Kaufmann est le «personnage ». Il n'explique pas, il ne raconte pas : il s'efface au profit du (malheureux) héros qu'il incarne. Le texte du premier lied, Wenn mein Schatz Hochzeit macht, est tiré de Des Knaben Wunderhorn d'Arnim et Brentano. Les trois autres sont de la main de Mahler. On dirait que l'interprète les invente. Entre le deuxième, Ging heut' morgen über's Feld, et le troisième, Ich hab' ein glühend Messer, nulle interruption. Il faut avoir éprouvé le moment où Jonas Kaufmann, encore dans l'amertume des derniers mots («Non, non, fie bonheur] auquel je pense ne pourra jamais refleurir !»), se lance insensiblement dans le désespoir de cette blessure que rien ne pourra refermer, pour comprendre que la musique est l'art du passage dans la durée.

Le quatrième lied, Die zwei blauen Augen, s'achève dans l'évocation du tilleul emblématique, sous lequel le compagnon trouve le rêve et l'oubli. Un cycle disqualifie les questions ordinaires sur l'identité vocale du chanteur. Ce dernier répond à l'enthousiasme du public en annonçant qu'il y aura bien un bis, mais «après».

La seconde partie, confiée à l'orchestre, redécouvre Richard Strauss (sextuor de Capriccio), puis Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) de Schoenberg. Tout est donc prêt pour que Jonas Kaufmann vienne délivrer le message tristanien de Träume, extrait des Wesendonck-Lieder de Wagner.

Enfin, adieu et gratitude, Zueignung de Strauss qui, tant de fois, conclut les «Liederabende» d'Elisabeth Schwarzkopf et de Dietrich Fischer-Dieskau. Sous les formes de la plus exigeante modernité, leur art demeure.











 
 
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