Opéra Magazine, octobre 2013
Laurent Barthel
 
Verdi: Il trovatore, Bayerische Staatsoper, 27. Juni 2013
 
Munich - Il trovatore
... Mais le titre le plus attendu était évidemment la nouvelle production d'Il trovatore, moins pour la mise en scène d'Olivier Py, peu connu ici, que pour la présence simultanée de deux chanteurs allemands parmi les plus fêtés du moment : Anja Harteros et Jonas Kaufmann. Une soirée de première brillante et l'un des événements majeurs de l'été festivalier, l'intégralité de la distribution restituant l'atmosphère ténébreuse de l'ouvrage, avec une intensité et une constance que l'on peut qualifier d'historiques. Depuis quand n'avait-on pu écouter une telle constellation vocale dans cette œuvre ? Car moins que des deux têtes d'affiche, la surprise est venue des trois autres rôles principaux. À commencer par le Ferrando de Kwangchul Youn, parfait comme à l'accoutumée. Émerveillement aussi avec l'Azucena d'Elena Manistina, dont on pouvait certes attendre la puissance du timbre typique de l'école russe, mais pas forcément ce contrôle étonnant des graves poitrinés et cet engagement émotionnel total de mère blessée, aux confins de la folie. Alexey Markov impose dans Luna une prestance jamais prise en défaut, ainsi qu'un chant d'une beauté aussi constamment soutenue que le phrasé d'un violoncelliste. Très attendue, surtout sur une scène où brillait naguère la Leonora de Julia Varady, Anja Harteros relève le gant avec panache. Dans le feu de l'action, certains aigus ne sont pas parfaitement stables ou sont émis un rien trop bas, mais ce sont là d'infimes détails, en regard de la noblesse de la ligne et de l'émotion se dégageant d'un chant constamment investi. La soirée culmine avec «D'amor sull'ali rosee», écouté dans un silence religieux : phrasés sur le souffle et lents trilles vertigineux peuvent sans peine se mesurer aux souvenirs discographiques de Leontyne Price, que l'on qualifiait autrefois de «Stradivarius des sopranos ».

Enfin, il y a Jonas Kaufmann, qui apprivoise Manrico avec ses moyens toujours particuliers. Ce qu'on apprécie beaucoup chez lui, ce sont les nuances qu'il parvient à faire apparaître dans ce rôle, naturellement plus musclé qu'introverti. «Ah ! si, ben mio», sur lequel tout le monde ou presque se casse le souffle, est négocié avec un art véritable de la demi-teinte. «Di quella pira», abaissé d'un demi-ton, passe sans accident, mais l'abus de sons poussés et couverts doit probablement rendre l'exercice fatigant. Indiscutablement, Manrico requiert davantage de métal et de clameurs de trompette, mais de vraies compensations sont là.

Accueil mitigé, cris d'enthousiasme et huées à parts égales, pour Olivier Py, dont l'intelligente réflexion sur la dramaturgie verdienne aurait mérité davancage de respect. On le sent soucieux d'obtenir le maximum d'expressivité des chanteurs, tout en s'accommodant de leur relative immobilité, aux prises avec des rôles terriblement exigeants. D'où l'omniprésence d'une figuration riche : doubles chorégraphiés des frères rivaux ; combattants musclés à tète masquée de cuir ; fréquents passages d'une vieille femme nue (le fantôme hagard de la mère d'Azucena, jadis brûlée comme sorcière)... Un danseur au corps entièrement recouvert d'un collant noir, sorte de personnification de la Mort, escorte Leonora dans le cachot (l'héroïne est aveugle dans cette mise en scène, un choix qui accentue sans doute sa fragilité)...

Le riche décor industriel de Pierre-André Weitz frise aussi le surencombrement : pullulation de roues tournantes, de passerelles pivotantes et d'alignements de néons, avec même une locomotive à vapeur pour le premier tableau du II. Une surabondance renforcée, à l'occasion, par quelques provocations croustillantes mais d'une utilité toute relative : pour souligner le thème de la maternité, effectivement central dans l'oeuvre, on voit apparaître, ici ou là, de monstrueux bébés géants en couche-culotte... L'essentiel est sauf, néanmoins : un Trovatore débordant de poésie nocturne et de violence pertinemment contenue, inquiétant de romantisme noir, où la palette des émotions se révèle d'une inépuisable richesse.

En fosse, Paolo Carignani garde l'oeil et l'oreille à tout, et le sentiment d'accomplissement exceptionnel que laisse une telle soirée lui doit également beaucoup.






 
 
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