Diapason, 17 août 2012
Emmanuel Dupuy
 
Bizét: Carmen, Salzburger Festspiele, 17.8.2012
Carmen au Festival de Salzbourg
Carmen à Salzbourg : où l’on vérifie que la glorieuse santé du chant français peine à passer les frontières – un seul de nos artistes au générique, Jean-Paul Fouchécourt, Remendado, parfait. La langue n’est pas massacrée pour autant, mais les dialogues parlés, même réduits au strict minimum, restent une épreuve.

Etrennée pendant le Festival de Pâques – avec les Berliner Philharmoniker, remplacés pour les représentations estivales par les Wiener Philharmoniker, histoire de ne pas perdre au change –, cette production a, depuis, fait l’objet d’un enregistrement en studio qui paraît ces jours-ci chez Emi. On en retrouve, in vivo, les défauts et qualités. Dans la fosse, c’est toujours la fête. Un trait de flûte là, un solo de violoncelle ici, un contre-chant de basson : si vous ignoriez que Bizet fut un orchestrateur de génie, Simon Rattle en apporte la preuve avec éclat, dirigeant aux petits oignons une partition qu’il fait respirer avec une évidence de chaque instant. Du grand art.

Sur scène, Magdalena Kozena confirme que le rôle-titre ne tombe pas naturellement dans sa tessiture. Du coup, elle surjoue, s’autorisant des effets qui ne sont pas toujours du meilleur goût. Une incarnation est là, certes, portée par un riche mezzo, mais cet oiseau rebelle doit encore être dompté – peut-être aurait-il fallu à la mozartienne délicate et cultivée que fut Kozena un écrin plus intime que le Grosses Festspielhaus pour prendre son vol ? Passons sur l’Escamillo sans grave ni charisme de Kostas Smoriginas, et déposons tous nos lauriers sur le front de Genia Kühmeier, fontaine de soie et de grâces musicales. Victoire à l’applaudimètre pour cette Micaëla grand style, partagée avec le Don José de Jonas Kaufmann, pas latin pour un sou, mais d’une précision de chant et d’expression sidérante – et bouleversante (faut-il répéter que l’adéquation physique est idéale ?).

Quant au spectacle d’Aleta Collins, il ne saurait avoir d’autre prétention que de dispenser le plaisir du travail bien fait. Les très efficaces décors de Miriam Buether y sont pour beaucoup : un atelier crasseux à l’acte I, un lupanar tout de rouge tendu au II, un collecteur d’égout en guise de montagne au III, une place publique baignée de lumière au IV. Cette Espagne est davantage celle d’Almodovar que de Goya, mais elle est prestement croquée. Sous l’œil noir du fatum, la foule et les caractères y évoluent d’un pas léger, avec des déhanchements flamenco – Miss Collins est avant tout chorégraphe – qui font rôder comme un air d’amour sorcier. Rien de neuf sous le soleil, certes, mais Carmen n’est pas trahie.

Carmen de Bizet. Grosses Festspielhaus, le 17 août.






 
 
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