Forum Opera, 04/03/12
par Catherine Jordy
 
Konzert, Baden-Baden, 25. März 2012
 
Public, je vous hais
 
Le récital commence par une double annonce : d’une part, le chef d’orchestre Andris Nelsons est absent pour motifs personnels et remplacé par un jeune chef, le Britannique Michael Seal, recommandé pour l’occasion par Simon Rattle ; d’autre part, l’entracte précèdera la symphonie de Sibelius plutôt que de s’insérer entre les airs de Mahler et Strauss. Soulagé de voir arriver la star attendue, le public retient sa respiration au moment où Jonas Kaufmann entonne des Kindertotenlieder de bien triste actualité. Immédiatement, une ambiance recueillie s’installe, avec un orchestre cependant un rien trop puissant pour la voix du ténor quasiment blanche, tout en retenue, en concentration et en douleur à fleur de lèvres, comme embuée de larmes. La salle comble semble à l’unisson quand soudain, mettant à profit la fin du premier lied, une voix s’élève, quelque part vers le centre, dans les tout premiers rangs du public. Nettement plus éloignées, nos oreilles ne sont plus très sûres de leur allemand : « Pourriez-vous avancer un peu, de sorte qu’on vous voie ? », avons-nous cru entendre. Après un silence sans doute interloqué, Jonas Kaufmann fait effectivement un pas en avant puis répond au malotru qu’il est placé là pour voir le chef et qu’il lui importe avant tout de servir la musique… Voilà qui est bien surprenant au Festspielhaus de Baden-Baden : le public y est pourtant d’habitude connaisseur et courtois. Qu’importe : la magie est brisée et ces Kintertotenlieder ne parviendront plus à instiller leur douce mélancolie désolée. Ni la montée en puissance du chant du ténor, ni la magie de son timbre sombre mais rayonnant, pas même les nuances idéalement maîtrisées de l’orchestre n’effaceront la gêne de cette première interruption, elle-même suivie d’ailleurs par des applaudissements entre deux numéros. Problème de perte de concentration ? Où l’artiste n’est-il pas ce soir au meilleur de sa forme ? Quoi qu’il en soit, l’émotion a du mal à passer et on se prend à se remémorer d’autres interprétations, dont nous restons ici bien loin...

Avec Richard Strauss, Kaufmann semble davantage à son aise : tour à tour introspectif (« Ruhe meine Seele » bouleversant d’intériorité et de tension retenue, « Morgen » à fleur de peau), rayonnant (« Heimliche Aufforderung »), délicat ou séducteur toujours, il joue de la richesse de son timbre comme d’une palette de couleurs et de lumière… Le phrasé est de bout en bout souverain (en particulier dans « Morgen »), et l’on ne pourra déplorer qu’une tendance un peu envahissante à accentuer le murmure (à la limite de la perte de timbre parfois, sinon du mauvais goût) et quelques aigus un rien étranglés.

Après l’entracte, le City of Birmingham Symphony Orchestra désormais seul nous entraîne dans les plaines du Nord avec une deuxième symphonie de Sibelius superbement mise en valeur. Les pupitres y font montre d’une remarquable qualité, virtuoses mais toujours intégrés, à l’écoute les uns des autres. Sans doute la tension due au changement de chef a-t-elle contribué à cette rigueur, cette concentration palpable dans les moindres nuances et dans les transitions (et Dieu sait s’il y en a, et combien elles peuvent se montrer traîtresses pour des phalanges moins souples !). Le jeune chef Michael Seal a admirablement relevé le défi, osant prendre des risques quand d’autres auraient peut-être préféré jouer la sécurité. Deux rangs derrière nous, quelqu’un passe son temps à déplier des bonbons, ce qui produit l’effet de papiers gras entachant les paysages sonores que déploie le chef, tour à tour sauvages et tourmentés. Il y a des jours comme ça ! Heureusement, le dernier mouvement brillant et décoiffant chasse le parasitage. La salle, comble, fait une ovation à la formation et son chef. On ne sera donc pas mauvaise langue : les gens ne s’étaient pas déplacés dans le seul but de voir le beau Kaufmann…




 






 
 
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