Webthea, 14/01/2010
Par Caroline Alexander
Massenet: Werther, Paris, 14. Januar 2010
Aux bonheurs de la musique
 
Musicalement, tant au niveau des voix que celui de l’orchestre, ce nouveau Werther programmé par Nicolas Joël à l’Opéra National de Paris atteint des sommets. Rarement, sinon jamais le héros romantique que Massenet tira des Souffrances du jeune Werther de Goethe n’avait trouvé une incarnation aussi bouleversante que celle de Jonas Kauffman. Beau comme un astre nocturne, le jeu engagé jusqu’aux larmes et la voix de lumière au phrasé précis et aux échappées sublimes, il est celui qu’on attendait depuis longtemps. Et le grand Michel Plasson qui fait des débuts tardifs dans la fosse de Bastille, gourmet fameux de ce répertoire, donne à l’orchestre l’exacte respiration de la passion, démarrant sans emballement puis prenant peu à peu le pouls du désespoir, jusqu’à s’enflammer en totale concentration. Magnifique tout simplement.

Créée au Covent Garden de Londres en 2004 la production a été rachetée par Paris moyennant quelques arrangements techniques pour se mettre aux normes de l’immense plateau de Bastille. Mais elle ne convainc guère. Estampillée premier degré, la marque de prédilection de Joël, le nouveau patron maison qui semble vouloir marquer une différence radicale avec les options de son prédécesseur, l’avant-gardiste Gérard Mortier. Après Mireille et Andréa Chénier (voir webthea des 25 septembre et 24 décembre 2009) voici donc ce Werther confié à Benoît Jacquot, cinéaste exigeant dont on pouvait attendre un point de vue plus inventif que le réalisme simpliste d’une illustration pour cahier d’écolier. C’est sa première mise en scène lyrique, mais ce n’est pas sa première approche de l’opéra puisqu’il filma une Tosca avec le couple Alagna/Gheorghiu tout à fait digne d’estime.
Zoomé à ras d’une caméra

Les décors de Charles Edwards prêtent à sourire tant ils se conforment aux indications du livret : s’il est question d’un mur et d’une fontaine comme les évoque Werther au premier acte, le mur se dresse haut et la fontaine s’y encastre pour rafraîchir les mains du héros. Au troisième acte le clavecin, les livres sont à leur place même s’ils sont sans utilité pratique ou symbolique… On pourrait en faire un chapelet de détails. Terrasses en dallage blond, feuilles mortes, escaliers suggérés par d’invisibles pentes… Tout est zoomé à ras d’une caméra qui se voudrait de reportage. Mais à la différence des deux productions citées, celle-ci n’affiche pas de véritable faute de goût et le dernier acte s’ouvrant sur un paysage de vent de neige où la pauvre chambrette de Werther vient doucement s’avancer vers l’avant scène est même très beau, d’autant qu’il permet à l’agonisant le plus long de tout le répertoire lyrique de s’éteindre dans l’espace intimiste qui est le sien et qui vient conclure son existence terrestre sur des images et des sons qui remuent les entrailles.

Werther est par essence une œuvre intimiste et l’on se demande pourquoi l’Opéra National de Paris riche de deux salles prestigieuses n’a pas utilisée la chaleur, les ors et les pourpres du Palais Garnier pour l’accueillir. L’erreur avait déjà été fatale il y a à peine un an à la mise en scène de l’Allemand Jürgen Rose (voir webthea du 4 mars 2009), alors qu’à l’inverse, à la Monnaie de Bruxelles, le metteur en scène flamand Guy Joosten, avait pris le parti d’espaces rétrécis et avait ainsi gagné son pari d’intériorité (voir webthea du 20 décembre 2007). Etiré, surdimensionné, Werther se perd ici dans un monde trop grand pour lui et y laisse un peu de son âme.

Jacquot, fin connaisseur du coeur des hommes

Reste la direction d’acteurs que Benoît Jacquot traite en gros plans de solistes, laissant souvent les chanteurs s’exprimer à l’ancienne, face au public, mais avec une force de conviction, un phrasé laissant toujours les mots s’exprimer en fusion avec les notes. Quelques jolies trouvailles dans les attitudes, les effleurements, les regards attestent qu’il est un fin connaisseur du cœur des hommes.

Sophie Koch est une Charlotte un peu distante, un peu lointaine, comme si la passion de Werther l’avait prise au dépourvu. Elle en a la grâce et l’élégance, le timbre est clair et fruité, il lui manque peut-être cette étincelle de sensualité que sous-tend son trouble de jeune femme happée par un désir interdit. Ludovic Tézier qui a chanté le rôle titre dans sa version pour baryton à Bruxelles et à Paris (en alternance avec le ténor Rolando Villazon) retrouve Albert, le mari, un personnage qu’il connaît et auquel il donne à la fois la raideur de sa stature et le bronze chaleureux de sa voix. Anne Catherine Gillet bénéficie sans doute d’un coffre trop large pour Sophie, la petite sœur encore considérée comme une enfant, mais qui s’en plaindrait tant la voix vole et s’envole en jets filés. Alain Vernhes, joyeusement inusable, inoxydable, retrouve lui aussi un Bailli, frère de longue date. La présence, l’autorité font oublier qu’ici ou là, l’âge a provoqué quelques usures.

Prima la musica. Ici, elle est souveraine et garantit ce type de souvenirs qui imprime des ondes dans la mémoire.

Le 26 janvier à 20h35 Arte diffusera en direct ce spectacle. Gageons que Benoît Jacquot en maniera les images en expert, et que celles-ci justifieront peut-être son parti pris de tradition à la papa.
 

 






 
 
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