Diapason, 15.01.10
Emmanuel Dupuy
Massenet: Werther, Paris, 14. Januar 2010
Orages interieurs
 
Pour ses débuts tardifs à L'Opéra-Bastille, Michel Plasson insuffle à Werther une étreignante poésie, complice d'un plateau sans faille

L’année dernière, l’Opéra de Paris avait présenté un Werther venu de Munich, dont la mise en scène n’a guère laissé de souvenir impérissable. Nicolas Joel, qui souhaitait inscrire l’ouvrage au répertoire, a de son côté choisi de racheter la production londonienne du cinéaste Benoît Jacquot. Bonne pioche, n’en déplaise à quelques contempteurs qui n’ont pu réfréner leurs huées en ce soir de première.

A l’acte I, certes, le décor de Charles Edwards, avec son lierre et sa fontaine qui ne cesse de couler, animé par des jeux de lumières aussi naïfs que changeants, peut faire craindre la pire convention. Le II, devant un beau cyclorama tout en ciels tourmentés, cultive davantage un certain dénuement. On comprend alors ce qui fera la force du spectacle : une vérité psychologique poussée dans ses extrêmes, dessinant les caractères et leurs relations d’un trait acéré et sans esbroufe. Le III, de ce point de vue, est un modèle : dans un superbe intérieur éclairé alla Vermeer, jamais les conflits qui déchirent Charlotte, jamais le désespoir de Werther, la violence froide d’Albert n’auront paru aussi évidents. Et au IV, l’agonie du héros, dans une misérable mansarde qui s’avance jusqu’à l’avant-scène en un saisissant effet de zoom, est elle aussi d’une justesse qui doit tout à une direction d’acteurs admirable.

Il faut dire que le plateau offre quelques incarnations époustouflantes de naturel. Pour sa prise de rôle, Jonas Kaufmann montre qu’il a tout du héros goethéen taciturne et dépressif. Le timbre sombre, certes, est à des années lumières d’une certaine tradition française qui, de Thill à Alagna en passant par Vanzo, privilégie la lumière aux ténèbres. Mais la présence pudique, la précision du chant et de la diction, la sensibilité et la maîtrise musicales, sont tout simplement sidérantes. Charlotte tombe aussi sans un pli sur les épaules de Sophie Koch, une de nos plus grandes artistes, scandaleusement absente de l’Opéra de Paris ces dernières années. Le personnage est jeune, spontané, les moyens vocaux généreux et en parfaite adéquation, que ce soit dans l’abandon des lettres ou la ferveur d’une prière enflammée. Remarquable Albert de Ludovic Tézier, tout d’une pièce, d’une brutalité contenue et effrayante. Sophie idéale d’Anne-Catherine Gillet, Bailli anthologique d’Alain Vernhes, impeccables Schmidt et Johann de Andreas Jäggi et Christian Tréguier.

Au pupitre, on retrouve un grand spécialiste de l’ouvrage, Michel Plasson, qui, aussi incroyable que cela puisse paraître, fait ce soir ses débuts dans la fosse de Bastille. On craint d’abord que cette réhabilitation n’arrive un peu tard. A force de lenteur, l’ouverture se décompose, l’insouciance des premières scènes sombre dans le chloroforme, et les chanteurs ont souvent un temps d’avance. Mais à partir de l’acte II, comme le drame se tend, ce geste mesuré prend peu à peu son sens. La langueur des tempos, les teintes automnales, la mélancolie des phrasés créent un climat d’une poésie étreignante qui donne à la partition l’allure d’une délicate marche funèbre, d’un chemin de croix sur lequel le destin fait peser son irrémédiable menace. Peu d’éclat, certes, mais une intériorité supérieure. La tristesse du prélude de l’acte IV, et de tout ce qui suit, est à pleurer. Le public ne s’y trompe pas, réservant un triomphe à ce maître qui nous a tant donné.

 

Photo: Elisa Haberer (Opéra National de Paris)






 
 
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