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Le Monde, 15.10.10
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Renaud
Machart |
Schubert: Die schöne Müllerin, Paris, TCE, 14. Oktober
2010
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Jonas Kaufmann, une voix en or toute au service de
Schubert
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Les rendez-vous avec le ténor allemand Jonas Kaufmann, 41 ans, semblaient
impossibles : on se rend, le 4 décembre 2009, à la Scala de Milan, pour
l'ouverture de saison avec Carmen, de Bizet : le Don José vedette est malade
et se fait remplacer par une pâle doublure ; en mars 2010, il doit donner un
récital avec piano dans le cadre des "Grandes Voix" : nouveau forfait ; ce
11 octobre, on devait le rencontrer à Barcelone, au lendemain d'un récital
auquel il a dû renoncer, comme à l'entretien : la grippe à nouveau. Aussi,
après tant de déconvenues, s'attendait-on à ce que le ténor annule dans la
foulée, voire in extremis, son récital parisien, en report de celui du
printemps.
Mais Jonas Kaufmann, remis, a honoré ce rendez-vous-ci,
qu'un Théâtre des Champs-Elysées archicomble et sur les charbons ardents
attendait. Un public composé d'élégantes, de "peoples" et de nombreux et
sincères mélomanes. Mais un public bruyant : entre chaque lied de La Belle
Meunière, de Franz Schubert, des salves catarrheuses le disputaient à des
"chuts !" aussi tonitruants. Et puis, dans cette électricité ambiante, peu
en osmose avec la délicatesse du cycle schubertien, on sentait l'auditoire
prêt à déborder d'enthousiasme.
De sorte que, le dernier lied - tout
de mélancolie morbide, chanté dans une sublime nuance pianissimo - à peine
achevé, les spectateurs se sont vautrés dans une marée de "bravos !" sans
même attendre la fin de la résonance du dernier accord joué par le pianiste
Helmut Deutsch (accompagnateur scrupuleux mais court de son et sans génie).
Le chanteur a eu alors un léger froncement du front et un demi-sourire où la
résignation et le dépit n'étaient pas absents.
Jonas Kaufmann est
beau, grand, mince, intelligent, il a une voix en or, est musicien comme peu
de ténors le sont. Autant dire qu'il a tout pour lui. Son emploi du temps
est effrayant, et il n'est pas rare qu'il jongle habilement - parfois moins
habilement, ce qui le contraint à des désistements - entre opéras, concerts
avec orchestre et récitals avec piano sur tous les continents.
Aussi subtil qu'éclatant
Certains observateurs,
alertés par ses annulations, craignent pour sa voix, sa "durabilité" dans un
métier où les ténors résistent moins bien que d'autres tessitures à la
surchauffe. Mais la technique de Jonas Kaufmann est remarquable, la voix
saine, ce que montre, mieux que tout autre exercice, celui, implacable, du
récital : trois jours après une grippe, la voix est intacte (on a cru, après
quelques lieder, déceler une fatigue des cordes vocales : il ne s'agissait
apparemment que d'un "chat" dans la gorge) et les risques qu'il prend avec
les nuances sont extraordinaires.
Le souffle et la ligne de chant
sont d'une telle sûreté qu'ils lui permettent d'y poser, avec une belle
liberté, les mots, prononcés dans une diction claire et intelligible. On
peut juste regretter que le ténor abuse des sons couverts, qui sonnent
parfois comme "baillés" (certains spécialistes de l'opéra le lui reprochent
dans le répertoire italien et son nouveau disque, consacré au vérisme, chez
Decca, est déjà l'objet de débats) et qu'il ait davantage de nuances que de
couleurs dans sa palette vocale. Mais ce ne sont probablement que broutilles
au regard d'un talent aussi subtil qu'éclatant.
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