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L'Avant Scène Opéra
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Pierre Flinois
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Lohengrin, le 17/08/2010 - Festival de Bayreuth
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Lohengrin
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En 1979, Alain Resnais avait, dans Mon oncle d’Amérique, mis en parallèle
les comportements des humains et des rats de laboratoire, selon les analyses
du professeur Henri Laborit. Hans Neuenfels aurait-il vu le film? Toujours
est-il qu’il expose Lohengrin au miroir de la psychologie des comportements
en installant dans un laboratoire blanc et gris des êtres hybrides,
choristes métamorphosés en rats noirs (sympathiques) et souris blanches ou
roses (charmantes) dont la tête de gaze permet d’entrapercevoir celle des
chanteurs et qui vont parfois se débarrasser de cette seconde peau pour
retrouver leur qualité d’humains, mais en gardant leurs pattes de rats.
Mais Elsa et Lohengrin, comme les quatre autres protagonistes, ne sont
pas des mutants, mais des humains compliqués. Ils exposent admirablement
leur incapacité à se toucher, à s’aimer, tandis qu’Ortrud et Telramund
s’embrassent à bouche que veux-tu, et que le Roi, pleutre instable et sous
influence, fuit ses responsabilités. Ils n’ont pas besoin de cette
métamorphose – ni des amusants petits films didactiques projetés sur écran
mobile – pour nous dire leur mal-être et leur difficulté à communiquer. En
fait, le choix dramaturgique fonctionne, parce qu’en refusant son
naturalisme à l’action, il donne une dimension analytique aisément
perceptible de l’œuvre (réduite bien entendu), ainsi qu’une dimension
d’étrangeté universaliste, mais il demeure finalement assez simpliste: la
maîtrise de la direction d’acteurs, très poussée, eut suffi à elle seule à
expliciter les comportements des protagonistes de l’opéra le plus pessimiste
de Wagner, sans l’agrémenter de la valeur ajoutée parfois comique de ces
grosses bestioles drolatiques pour exploiter les temps morts de l’action
avec un bonheur réel, mais tout à fait hors de propos.
Alors, même si
les images sont magnifiques (les éclairages de Franck Evin, et les décors et
costumes de Reinhard von der Thannen n’y sont pas pour rien) et si certains
moments ont une étrangeté inquiétante (les costumes des rats suspendus aux
cintres au-dessus de l’action, l’apparition finale de Gottfried, foetus
extraterrestre sorti d’un œuf), même si les symboles sont surexploités (le
cygne apparaît d’abord dans un cercueil, puis survole, déplumé, le final du
I, pour réapparaitre sous forme de ses seules plumes en éventail des deux
héroïnes affrontées – cygne blanc contre cygne noir –, puis entassées dans
le cercueil qui vient traverser le lit nuptial…), l’ensemble se regarde plus
comme une démonstration de cohérence théâtrale que comme une analyse fine
des émois exposées par la partition.
La rupture est d’autant plus
forte que le côté musical est assez heureux, du fait d’une direction céleste
autant que dramatique: Andris Nelsons, qui établit un record de jeunesse au
pupitre du festival avec ses 31 printemps, dirige de façon élégante mais ne
suscite guère l’émotion. Vocalement, il y a déséquilibre: on n’a pas
entendu Lohengrin aussi somptueux que Kaufmann depuis des décennies. Il a
pour lui le moelleux d’un timbre d’argent sombre, barytonant mais lumineux,
qu’il utilise à merveille: le legato, les nuances, la délicatesse des
phrasés murmurés, la faculté d’éclat aussi assurent ici la succession
directe de Sandor Konya. Mais le personnage reste un peu trop sur sa
réserve. Annette Dasch, bonne soprano impersonnelle, manque de
rayonnement, de foyer: c’est trop peu pour pareil chevalier. Evelyn
Herlitzius a de vrais moyens, des beaux graves, mais elle tend à crier ses
aigus, parfaitement justes cela dit. Et l’actrice demeure forte. Le Roi de
Georg Zeppenfeld est lui magnifique, et seul le Telramund bien pauvre de
Hans-Joachim Ketelsen est indigne du lieu.
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