Diapason, Janvier 2011
Vincent Agrech
Cilea: Adriana Lecouvreur, 25. November 2010
 
Adrienne recouvrée
 
C'est à Londres que renaît le très parisien opéra de Cilea, grâce au parfait classicisme du spectacle signé David McVicar.

Un tonnerre de rires accueille l'annonce, juste avant le lever du rideau, de l'annulation d'Angela Gheorghiu victime « d'un virus très rapide en milieu d'après-midi» -la constance du Royal Opera est mise à rude épreuve, après les pertes catastrophiques de sa tournée au Japon il y a deux mois lorsque la même artiste avait déclaré forfait. Prudemment engagée sur l'ensemble de la période, Angeles Blancas Gulin, qui devait chanter les dernières représentations, fait ses débuts dans le rôle-titre dès ce troisième jour. Les qualités qu'on imagine à Gheorghiu seront regrettées toute la soirée, car Gulin n'a ni la justesse, ni le phrasé, ni le glamour indispensables au rôle ; mais la tessiture et la puissance conviennent peut-être davantage, et lui permettent de s'imposer dans les instants les plus dramatiques comme le mélodrame racinien de l'acte III ou la scène de la Mort.

Face à elle, Michaela Schuster est une Princesse de Bouillon fière de voix, de solfège et d'abattage, mais manquant peut-être de subtilité vipérine. L'intérêt se déplace alors vers le tandem masculin. Jonas Kaufmann met évidemment la salle à ses pieds en Maurice de Saxe: guère solaire de timbre (et quelques notes de passage bien sourdes), mais l'intensité d'un médium barytonnant, des aigus dardés, l'alliage idéal entre subtilité et énergie de la ligne s'accordent au charisme sidérant de l'acteur. Parfait contrepoint avec le Michonnet tendre et nostalgique d'Alessandro Corbelli, qui évite tout cabotinage et soigne avec sobriété mots et demi-teintes.

L'excellente surprise reste de découvrir à quel point l'ouvrage, surtout connu par son titre et quelques airs, tient magnifiquement à la scène où il est si rare (la dernière représentation à Covent Garden date de... 1906!). Cilea avoue sa dette à Traviata et à la Manon de Massenet mais ne doit qu'à lui-même une inspiration sensible et fuyant l'outrance. Mark Elder exalte avec force les couleurs et la sensualité d'un orchestre qu'on a connu plus sûr de lui, mais reste en deçà des exigences du rapport entre texte et musique, si original dans cette oeuvre.

Le spectacle signé David McVicar réussit en revanche l'exploit de transcender le cliché du théâtre dans le théâtre, déclinant les fausses perspectives, trompe-l'oeil ou jeux d'ombres de la Comédie-Française et des salons parisiens (somptueux décors signés Charles Edwards, dommage que les costumes de Brigitte Reiffenstuel ne soient pas à l'avenant). Tout ceci selon un langage dont le parfait classicisme favorise la lisibilité de ces quatre actes, qui méritent décidément une meilleure place.

 






 
 
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