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ResMusica |
Michel Thomé |
Strauss: Der Rosenkavalier, Baden-Baden, 31-I-2009
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La Piste aux Etoiles
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Le Festival d’hiver de Baden-Baden était le
cadre d’un triple événement en cette fin janvier. Evénement mondain avec la
présence de nombreuses personnalités du monde de la politique, de l’économie
ou des arts. Evénement médiatique avec la télévision qui interviewait le
public aux entractes et Unitel qui captait en salle le spectacle en vue d’un
futur DVD et, semble-t-il, d’un CD. Evénement musical enfin avec la première
apparition dans une fosse d’opéra de l’Orchestre philharmonique de Munich,
réputé comme l’un des tout meilleurs orchestres au monde. A l’affiche, un
des chefs d’œuvre de l’opéra allemand : Le Chevalier à la Rose du munichois
Richard Strauss. Pour l’occasion, la direction du Festspielhaus de
Baden-Baden avait réuni une incroyable « dream team », réussissant la
performance de rassembler une pléiade de vedettes du chant, pour la majorité
d’entre elles dans des rôles où elles se sont acquis une incontestable
notoriété et qu’elles ont abondamment fréquentés. Une distribution à faire
pâlir d’envie Salzbourg et New York réunis. Et pour conduire tout ce beau
monde, la forte personnalité artistique du chef Christian Thielemann, actuel
directeur du Philharmonique de Munich et, lui aussi, grand habitué de
l’œuvre.
Pour la mise en scène, on est en terrain connu et éprouvé. La production de
feu Herbert Wernicke, réactivée ici par Alejandro Stadler, a en effet été
créée au Festival de Salzbourg en 1995 et redonnée à plusieurs reprises, en
particulier à l’Opéra de Paris. Un spectacle de bon aloi, plutôt consensuel,
sans fulgurances ni indignités. Au positif, une scénographie très
spectaculaire et qui met sciemment en évidence l’artifice du théâtre, faite
de grands miroirs pivotants autorisant des changements de décors à vue, une
direction d’acteurs bien travaillée, une transposition sans heurt à l’époque
de la création de l’œuvre, avec des costumes dans l’ensemble d’une grande
élégance, mais qui évacue tout de même tout l’arrière-plan de la Vienne de
Marie-Thérèse, si essentiel pour Hofmannsthal. Au passif, une tendance à la
surcharge scénique (la chambre de la Maréchale, le salon de Faninal ou la
modeste auberge du dernier acte se voient envahis par une foule excessive et
peu crédible de dizaines d’enfants, choristes, figurants, animaux
occasionnant une grande confusion), des facilités comme cet escalier digne
des Folies Bergères où Octavian vient remettre la rose d’argent à Sophie ou
le plat de spaghetti offert en récompense au chanteur italien et quelques
inutiles vulgarités (Octavian dressant comme un attribut viril le polochon
de la Maréchale, Ochs dégrafant le pan avant de son pantalon pour bien
signifier ses intentions à Mariandel par exemple). Globalement, cette mise
en scène fonctionne ; l’action avance, les protagonistes interréagissent
avec crédibilité. Et l’on persiste à trouver superbe l’image finale, où les
miroirs se positionnent pour renvoyer l’image de la salle elle-même, non
parce qu’elle voudrait signifier que nous sommes tous des voyeurs ou partie
intégrante de ce qui se passe sur scène – notion archi-rebattue et
ultra-convenue – mais parce qu’elle isole à l’avant-scène le couple des
tourtereaux, Sophie et Octavian, seuls au monde dans leur tout nouvel amour
et leur apparente fragilité.
En tête d’une distribution d’un niveau extrêmement relevé, Sophie Koch –
pourtant annoncée souffrante – réussit un Octavian d’anthologie : tessiture
idéale, finesse du jeu, attention au texte, projection magistrale, art de la
ligne et des nuances. C’est vraiment un adolescent troublant de vérité qui
prend vie sous nos yeux, boudeur, immature et tellement touchant. Elle
domine sans effort, de la tête et de la voix, ses deux partenaires
féminines, tendant même à presque déséquilibrer les ensembles. Quasiment au
même niveau superlatif, la Sophie de Diana Damrau est magnifique ; la voix
n’est pas immense mais projetée avec efficacité et les aigus, longuement
tenus sur le souffle, d’une grande beauté et d’une impeccable justesse, même
si on a connu plus libre et plus aérien. Actrice excellente, elle démontre
aussi son aptitude à faire exister scéniquement un personnage complet et
évolutif, par une multitude d’expressions et de gestes justes et bien
sentis. La Maréchale de Renée Fleming est bien connue en France, où elle a
déjà chanté le rôle à Paris en 1997. Par comparaison avec le souvenir de ces
représentations de l’Opéra-Bastille, la fréquentation assidue du rôle lui a
permis d’enrichir et d’intérioriser son incarnation, sans plus trace de ces
minauderies qui entachaient par moment son jeu, mais sans atteindre, dans sa
grande introspection de l’acte I sur le temps qui passe, à l’infinie
nostalgie qu’y mettait une Felicity Lott par exemple. Vocalement, l’aigu
reste somptueux, charnu, exceptionnel de plasticité et de splendeur du
timbre. Les registres medium et grave sont moins sonores, la contraignant
parfois dans les passages de quasi-parlando à malmener la ligne et à perdre
en homogénéité. Une interprétation majeure néanmoins.
Le Baron Ochs de Franz Hawlata, lui aussi grand habitué du rôle, constitue
le seul élément contestable de la distribution. La mise en scène en fait un
personnage grotesque, excessif et vulgaire – ce que Ochs n’est pas – et le
ridiculise en l’affublant d’une culotte courte à la tyrolienne mais sa
personnalité et son métier lui permettent de l’habiter avec conviction.
Apparemment abandonné par sa voix, comme ses mimiques au rideau final ont
tenté de le faire comprendre, il ne parvient hélas à aucun moment à soutenir
la vocalité du rôle : aigus ternes, graves éteints, refuge dans le parlando.
Sans avoir jamais été un Ochs historique, on l’y a connu tout de même bien
meilleur. Le vétéran Franz Grundheber (71 ans en septembre dernier !) est
par contre irréprochable en Faninal, sonore et bien chantant. L’ensemble des
rôles secondaires est aussi particulièrement soigné. Baden-Baden s’est
offert le luxe incroyable de faire venir Jonas Kaufmann pour chanter les
deux strophes de chanteur italien, dont il s’acquitte glorieusement, la
première strophe piano, la seconde forte, avec des aigus éblouissants.
Mais il faut encore mentionner, parmi d’autres, le Valzacchi plus mafioso
que nature de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, la truculente Annina de Jane
Henschel ou le Commissaire très bien mis en relief par Andreas Hörl.
De la profonde fosse du Festspielhaus émanent les sortilèges sonores qui
confirment que l’Orchestre philharmonique de Munich n’a pas usurpé sa
réputation de beau son : cordes somptueuses et homogènes, bois ironiques,
vents virtuoses, basson mystérieux et tragique dans la scène de la
Maréchale. Christian Thielemann le fait sonner très symphoniquement, dans
une conception plus allemande que véritablement autrichienne. Ainsi, le
rythme marqué et avec peu de rubato des valses leur confère plus une allure
de Ländler que d’authentiques valses viennoises. Une direction pourtant
théâtrale, mouvementée, dynamique et qui fait confiance à la qualité des
chanteurs pour surmonter la masse orchestrale (ce qu’ils réussissent sans
problème). On n’a jamais entendu les scènes de groupe des premier et dernier
actes aussi exceptionnelles de précision, de mise en place, sans décalage.
Alors ? Tenons-nous là un Rosenkavalier d’anthologie, pour l’éternité, comme
peut l’être celui de Carlos Kleiber à Vienne ? Certes, non. Mais force est
de reconnaître que le rassemblement de compétences réuni à Baden-Baden
constitue probablement ce qui peut se faire de mieux à l’heure actuelle.
Comment renier le trio final, pris par Christian Thielemann dans un tempo
d’adagio brucknérien, où les trois voix féminines rivalisent de splendeur et
de plasticité pour nous emmener tout près du paradis ? Une grande soirée,
qui laissera des souvenirs vivaces aux heureux spectateurs. |
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